En Afrique plus qu’ailleurs, la participation à la Coupe du monde n’est pas un long fleuve tranquille. De la phase des qualifications à la phase finale, les entraves ne manquent. A l’analyse, les lacunes internes l’emportent sur des facteurs exogènes.
Le constat des échecs successifs des sélections africaines en coupe du monde est patent mais peu de personnes se penche sur les causes profondes de cette déconfiture persistante. Avant d’évoquer d’autres facteurs exogènes, il y a lieu de reconnaître que les problèmes liés à l’organisation constituent le principal tendon d’Achille du football africain.
Peu de pays ont réussi à mettre sur pied des championnats nationaux répondant à des critères professionnels. D’où l’impression de chaos qui déteint sur les saisons sportives d’une année à l’autre. Aux éternels conflits de leadership qui font rage dans les instances dirigeantes (fédérations et clubs), viennent s’ajouter les incohérences de la gestion administrative, les problèmes de financement, corruption rampante et détournements des ressources sans oublier le problème récurrent du manque d’infrastructures fonctionnelles.
Quand elles existent, les enceintes sportives sont très mal entretenues. Pour ne prendre qu’un exemple, sur la quinzaine de grands stades dont dispose le Nigeria, à peine deux sont dotées d’un gazon naturel relativement bien entretenu. Dans beaucoup de pays, le championnat national se joue encore sur de la terre battue.
Quand elles ne vivent pas sur le dos du contribuable, les fédérations ont le plus grand mal à s’extraire des contradictions internes. On retrouve certes en Afrique presque les mêmes dysfonctionnements que dans d’autres régions comme l’Amérique latine, mais avec une ampleur plus aiguë. La gestion approximative des personnes et des biens, telle que pratiquée au niveau des instances dirigeantes n’est pas à même de procurer la sérénité nécessaire lorsqu’on aborde un tournoi majeur comme la coupe du monde de football. Au moment même où se disputait le Mondial russe, de nombreuses fédérations africaines (Cameroun, Ghana, Nigeria, Bénin, Togo, Mali, Guinée, Côte d’ivoire…) étaient dans la tourmente pour diverses raisons. Pour sortir de l’ornière, un « comité de normalisation » a été imposé à certaines fédérations par la Fifa sans toujours produire des résultats tangibles.
Détection et suivi
En plus des problèmes d’intendance, le football africain souffre aussi des multiples carences en matière de détection et de suivi des talents dès le bas âge. Malgré certaines initiatives engagées ici et là, avec notamment la création des « académies » de football et autres centres de formation, une véritable politique structurée fait défaut dans beaucoup de pays.
Quand ils n’évoluent pas dans des championnats professionnels à l’étranger, la plupart des joueurs appelés en sélection nationale sont le fruit des générations spontanées, sans aucune prospection préalable ni suivi méthodique. La rue et les terrains vagues restent malheureusement les principales écoles d’apprentissage des notions basiques. Ce manque de suivi est plus problématique encore au niveau des équipes nationales. Or toutes les sélections d’envergure mondiale mettent un point d’honneur à constituer des effectifs performants dans différentes catégories d’âge. C’est vrai pour l’Argentine, le Brésil, l’Allemagne, l’Espagne ou la France. Un suivi rigoureux permet ainsi le passage en douceur d’éléments talentueux d’une catégorie à l’autre, en évitant u maximum des pertes en cours de route. Quelques exemples. Au sein de l’équipe du Nigeria présente au Mondial 2018, on ne retrouvait que 2 éléments de la solide sélection qui avait perdu la finale de football aux Jeux olympiques de Beijing 2008 face à l’Argentine, contrairement à cette dernière qui avait dans ses effectifs 8 des anciens champions olympiques, en commençant par Messi, Aguëro, Di Maria, Mascherano, Romero et consorts.
Les joueurs de l’équipe du Cameroun, champion olympique en 2000, auraient pu constituer une génération dorée sur plus d’une décennie. Or après la victoire à la CAN 2002 au Ghana, le groupe s’est littéralement disloqué, allant désormais de défaites en désillusions. La faute à une gestion administrative approximative et à un environnement malsain, en plus des querelles interpersonnelles opposant des joueurs entre eux ou aux dirigeants. Il aura fallu attendre 15 années de disette pour qu’enfin les Lions indomptables soulèvent à nouveau un trophée continental en 2017 avant de retomber à nouveau dans leurs travers.
Encadrement instable
L’encadrement technique des équipes africaines laisse aussi à désirer et s’apparente à un éternel recommencement. Outre l’absence d’une philosophie de jeu, de schéma et discipline tactiques clairs et identifiables, on note une instabilité permanente sur le banc de touche avec la valse incessante des sélectionneurs virés au moindre prétexte, l’argument le plus usité étant « l’insuffisance de résultat ».
Concernant l’instabilité au niveau de l’encadrement technique des équipes africaines, voici ce que nous écrivions déjà le 15 novembre 2017 sur ce site de Camfoot au sujet du débat sur le vrai-faux départ d’Hugo Broos, l’ex-sélectionneur des Lions indomptables, après l’élimination du Cameroun de la Coupe du monde 2018. « Au risque de choquer certaines sensibilités, il nous semble que le staff technique actuel ne constitue pas le problème central des Lions indomptables et du football camerounais en général. La force des grandes nations de football c’est leur capacité à encaisser des chocs, à surmonter des obstacles sur leurs parcours pour aller vers un objectif plus grand. Si par exemple l’argument du mauvais résultat ponctuel était décisif pour changer d’entraineur, Joachim Löw, l’emblématique sélectionneur d’Allemagne en poste depuis 2006, n’aurait jamais continué après deux échecs successifs en demi-finale de coupe du monde (2006 et 2010). La patience a fini par payer avec la victoire à la coupe du monde de 2014 au Brésil. Sur le banc de touche de l’équipe de France depuis 2012, Didier Deschamps aurait pu rendre son tablier après les échecs successifs à la Coupe du monde 2014 et à l’Euro 2016. Son maintien en poste lui a permis de bâtir un groupe solide et redouté qui fait partie des favoris de la coupe du monde 2018 ».
A contrario en Afrique, c’est l’instabilité permanente. Au moindre faux pas, au moindre prétexte, on a pris l’habitude de tout chambouler, tant au niveau du staff technique qu’à celui des joueurs. On n’a jamais réussi à anticiper, à bâtir sur la durée, même quand les résultats positifs sont au rendez-vous. Après la victoire à la CAN 2002 avec une équipe du Cameroun au jeu chatoyant, Pierre Lechantre a été renvoyé comme un malpropre.
L’un des footballeurs africains les plus doués de sa génération, le Nigérian Stephen Keshi a entamé par la suite une carrière d’entraineur très riche, dirigeant successivement les équipes du Togo et du Mali avant de conduire le Nigeria à la victoire en Coupe d’Afrique des nations 2013, puis d’être le premier coach africain à qualifier son pays en huitième de finale de la Coupe du monde 2014. Ces succès n’ont pas suffi à faire son bonheur. Après un long bras de fer avec la Fédération nigériane de football (NFF), Keshi va être définitivement viré en juillet 2015 avant de rendre son dernier souffle dans l’indifférence générale en juin 2016.
La Côte d’Ivoire a laissé filer sans raison valable un « sorcier », nommé Hervé Renard qui après avoir gagné la CAN 2015, fait aujourd’hui le bonheur du Maroc qui vient justement de battre la Côte d’Ivoire à domicile pour se qualifier pour la Coupe du monde 2018.
Le cas d’Aliou Cissé au Sénégal constitue une exception. Malgré l’échec à la CAN 2017, il a été maintenu en poste et a réussi par la suite à qualifier son équipe pour le Mondial 2018.
Cette réflexion est d’une brûlante actualité et prend tout son sens depuis le récent sacre de l’équipe de France sous la houlette de Didier Deschamps. Cet exemple pourrait inspirer les dirigeants du football en Afrique, à condition qu’ils soient plus réalistes et patients.
Du physique et de la tactique
Une analyse froide des matchs disputés met en exergue les nombreuses lacunes des sélections africaines sur le double plan offensif et défensif. La pléthore des buts encaissés et le faible nombre de buts marqués en disent long sur des performances en-deçà des attentes et qui traduisent un net recul par rapport aux éditions précédentes. Côté joueurs, on aura constaté des défaillances au double plan technique et physique, en plus de l’inconstance tactique des sélectionneurs, en matière de lecture du jeu ou dans les remplacements parfois hasardeux. Le plus souvent, le destin des équipes en coupe du monde dépend de la forme du moment de quelques joueurs d’exception, capables à eux seuls de porter leurs équipes vers la victoire, voire le sacre final.
Sans Pélé, Maradona, Franz Beckenbauer ou Paolo Rossi par exemple, le Brésil, l’Argentine, l’Allemagne ou l’Italie n’auraient jamais goûté aux saveurs d’une consécration mondiale. Dans le cas africain, certains joueurs emblématiques (Milla, Abéga, Eto’o, Geremi, Mboma, Okocha, Kalusha, Belloumi, Faras…) ont été à une certaine époque des fers de lance de leur sélection nationale respective, avec des résultats conséquents. Force est de constater que des joueurs de cette dimension se font très rares de nos jours. Faute de véritables leaders, capables de maintenir ou de rallumer la flamme dans les vestiaires comme sur le terrain, la plupart des équipes africaines étaient sans âme à coupe du monde de Russie. Il n’est guère étonnant qu’aucun joueur africain n’ait vraiment émergé dans ces conditions.
La course d’obstacles
De la phase des éliminatoires à la phase finale, la participation des équipes africaines à la coupe du monde s’apparente à une véritable course d’obstacles. Et cela dure depuis des décennies. L’élimination en cascade des équipes africaines amène certains observateurs à s’interroger sur la pertinence de la formule de qualification actuellement en vigueur en Afrique. Avec cette tendance quasi-masochiste qui consiste à neutraliser les meilleures chances du continent dès la phase éliminatoire. Par ailleurs, les Africains ne sont pas particulièrement gâtés lors du tirage au sort constituant les poules en phase finale. Invariablement, les équipes du continent partagent la même poule que d’anciens champions du monde. En 1982, 1990 et 2014, le Cameroun avait « hérité » respectivement de l’Italie, de l’Argentine et du Brésil. Le Nigeria a affronté l’Argentine en phase de groupe en 2010, 2014 et 2018. En 2002 le Sénégal croisait le fer en match inaugural contre la France. En 2010, le Ghana devait en découdre avec l’Allemagne, etc.
L’absence en Russie d’anciens « mondialistes » comme le Cameroun, l’Algérie, le Ghana ou la Côte d’Ivoire amène à s’interroger si certaines équipes qualifiées étaient vraiment à la hauteur pour défendre l’image du football africain au niveau mondial. Ce n’est pas faire injure aux équipes du Nigeria, du Sénégal et de la Tunisie qui ont enregistré au moins une victoire chacune et marqué plusieurs buts face à des adversaires surcotés. Toujours est-il qu’au final il leur a manqué quelque chose pour surmonter l’obstacle du premier tour.
Moralité : ce n’est pas forcément parce qu’on s’est imposé lors des éliminatoires qu’on a l’étoffe pour rivaliser avec les meilleures équipes de la planète. Les représentants africains l’ont appris à leurs dépens, même s’ils peuvent évoquer certaines circonstances atténuantes, notamment au niveau de l’arbitrage considéré par beaucoup comme un obstacle à part entière.
Ce qui fait dire à certains observateurs que malgré les nombreuses lacunes constatées, les joueurs et encadreurs africains ne sont pas seuls à blâmer. Comme lors des précédentes coupes du monde, certaines équipes africaines se sont estimées victimes de certaines décisions controversées ayant changé le cours de certaines rencontres. On peut évoquer à ce sujet les rencontres Maroc-Espagne, Argentine-Nigeria ou Sénégal-Colombie où l’assistance de l’arbitrage vidéo (VAR) a fait des siennes. Un véritable paradoxe pour cette nouvelle technologie qui était censée apporter plus de transparence et d’équité dans les décisions de l’arbitre central. Elle est encore loin de faire l’unanimité.
Mental et gestion du timing
Malgré leurs effectifs parfois étoffés, les sélections africaines font montre souvent d’une fragilité mentale et d’un déficit physique incompréhensibles en phase finale. Lors des matchs importants, elles ont tendance à craquer soit dans le premier quart d’heure, soit dans les cinq dernières minutes. Est-ce dû à un manque de concentration, de rigueur ou alors à un excès de pression ? Seule la psychologie du sport pourrait expliquer des approximations, des relâchements coupables et autres bévues évitables qui pardonnent rarement à un tel niveau. Une renaissance du football africain de haut niveau passe par un travail de fond qui exige à la fois la patience et le professionnalisme. En se focalisant uniquement sur les performances des équipes nationales, on oublie souvent qu’elles ne sont que le reflet du niveau du football tel que pratiqué dans les pays concernés. On aura beau dénoncer le mauvais sort qui s’acharne souvent sur les équipes africaines en coupe du monde, les controverses suscitées par certaines décisions arbitrales ne suffiront pas à expliquer les déconvenues des représentants africains en coupe du monde au fil des éditions. Il n’existe pas encore en Afrique des championnats bien structurés capables de produire des joueurs d’envergure mondiale comme Messi, Ronaldo, Neymar, Modric, Mbappé Hazard ou Lukaku. C’est peut-être ce qui explique que des joueurs originaires d’Afrique mais évoluant dans des environnements plus favorables explosent au grand jour et fassent le bonheur de leurs pays d’adoption. On aura beau dire pour se consoler que « nous avons deux jambes comme les autres », la différence devient très nette sur le terrain entre un grand joueur et le reste. Pour élever leur niveau sur l’échiquier mondial, les équipes africaines doivent s’appuyer sur des solides structures locales. En commençant par des championnats bien organisés, des directions techniques nationales (DTN) qui sont des vrais dépositaires de la philosophie de jeu (au lieu de jouer de la figuration) sans oublier un meilleur accompagnement des compétitions panafricaines (ligue des champions, CAN..) ainsi que des infrastructures sportives de qualité et fonctionnelles. Par ailleurs, l’élimination en cascade des équipes africaines amène aussi certains observateurs à s’interroger sur la pertinence de la formule de qualification actuellement en vigueur en Afrique, avec cette tendance quasi-masochiste qui consiste à neutraliser les meilleures chances du continent dès la phase éliminatoire. Comme cela se fait dans d’autres confédérations, il appartient à la CAF de prendre des mesures idoines pour apporter des correctifs nécessaires à ces manquements.
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Jean Marie NZEKOUE
Jean Marie NZEKOUE est éditorialiste, auteur de : Afrique, faux débats, vrais défis L’Harmattan, Paris, (2008), L’Aventure mondiale du football africain (2010)