Que de temps perdu ! Le Cameroun est un pays extraordinaire : un pays où on invente chaque jour le fil à couper le plantain pilé, des technologies pour chauffer de l’eau…où on a besoin de plusieurs dizaines de mois pour écrire les textes d’une fédération et élire un président. Tout se passe comme s’il était question de la rédaction de la constitution des Etats-Unis d’Afrique et de l’élection de son président.
La transition à la Fécafoot a pris plus de temps que celle du Burkina Faso qui s’achève avant la fin de cette année. Le ministre des Sports évoque les questions de respect des échéances dans l’organisation des CAN. Si on suit sa logique, on arrive à la conclusion qu’il est plus difficile de respecter la loi que de la violer. Mieux encore, en respectant les normes de fonctionnement d’une société, on avance moins vite que quand on ne les respecte pas. Pour certaines personnes physiques, violer les lois peut être plus aisé, mais pour une personne morale, le ministère des Sports en l’occurrence, il est plus aisé, en principe, de la respecter. Personnellement, je pense que le chemin le plus simple pour garantir les intérêts supérieurs de l’Etat aurait été de respecter jusqu’au bout ce qui fait office du code électoral à la Fécafoot.
Ce qui se passe dans cette fédération peut impacter sur d’autres champs d’activités de notre pays. Les investisseurs par exemple ont besoin, avant d’investir dans un pays, de s’assurer que leurs investissements seront protégés par un système juridique fiable.
La décision du ministre des Sports créé donc un précédent. Ceci dit, tentons d’aller plus loin. Ce qui se passe à la Fécafoot est l’illustration de trois choses, au moins.
La première est qu’au Cameroun les associations, les partis politiques et tous les acteurs de la société dite civile sont encore « faibles ». Nombre d’observateurs réclament chaque jour l’autorégulation de certaines corporations. On souhaite voir l’Etat être moins présent, si ce n’est absent. Hélas, les égoïsmes, le népotisme et le tribalisme de nombre de Camerounais ne sont pas de nature à favoriser l’émergence d’une société civile forte. Ceux qui se bousculent dans certaines corporations le font pour leurs seuls intérêts et sont prompts à trahir leurs condisciples en justifiant, parfois avec plus de zèle que les acteurs institutionnels, les actes des pouvoirs publics.
Deuxième leçon, conséquence logique de la première : au Cameroun, il existe trop peu d’hommes intègres. Certains journalistes et intellectuels justifient la décision du ministre. Une lecture plus fine indique, ni plus ni moins, leur volonté de se rapprocher de la Fécafoot et d’en tirer des prébendes. Le gouvernement qu’ils condamnent lorsqu’il s’agit d’autres sujets, ils le soutiennent, avec des arguments enrobés du droit, quand il s’agit de la Fécafoot.
Enfin, comme troisième leçon : les autorités Camerounaises sont jalouses de leurs prérogatives. A bien voir, le Cameroun est dirigé par une classe d’hommes d’Etat qui ne voient pas d’un bon œil l’émergence d’une société civile forte. Au lieu de travailler à rendre les associations qui existent fortes, pour qu’elles soient à même de s’autoréguler, elle met en place des stratagèmes pour l’affaiblir davantage. Ce qui se passe à la Fécafoot l’illustre à suffisance. Si le ministre des Sports peut passer outre une décision de justice, il pouvait aussi travailler à faire respecter les textes de la Fecafoot et œuvrer à une élection plus sereine de ses dirigeants : qui peut le plus peut le moins.
Cette situation, loin d’être un embarras est en effet du pain béni pour des gouvernants qui souhaitent contrôler des associations comme la Fécafoot. L’immaturité des postulants à la tête de cette association a donné l’occasion au ministère des Sports de faire ce qu’il a toujours souhaité faire: nommer un dirigeant à la Fécafoot et contrôler cette fédération.
Avec ce qui s’est passé, la Fécafoot est émasculée et désormais soumise à la volonté de l’Etat.
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