La question est simple : sommes-nous encore en République ? Schématisons ce qui se passe : une instance judiciaire (même rattachée à la Fifa) rend une décision de justice annulant un processus et, un ministre, membre de l’exécutif, par un communiqué radio-presse, casse cette décision, crédibilisant du coup le processus préalablement annulé par cette instance judiciaire. Comment est-ce possible ?
Peut-être devons-nous rappeler les faits. On se souvient que par une saisine, la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage (CCA) du Comité National Olympique et Sportif du Cameroun (Cnosc) a déclaré, le 12 novembre 2015, nul tout le processus électoral dans les ligues départementales et régionales qui a vu l’élection de Tombi à Roko comme président de la Fécafoot. Autrement dit, ce dernier perdait toute légitimité et c’est l’exécutif issu des statuts de 2009 que devrait conduire John Begheni Ndeh qui devrait entrer en scène. Sauf que, ce scénario a connu le véto du ministre des sports et de l’éducation physique, Pierre Ismaël Bidoung Mkpatt. Par un communiqué radio- presse daté du 18 novembre 2015, il va reconnaître valide ce processus électoral.
Selon le communiqué ministériel, « que la loi n ° 2011/018 du 15 juillet 2011 relative à l’Organisation et à la Promotion des Activités Physiques et Sportives et le décret n ° 2012/ 436 du 1er octobre 2012 portant organisation du Ministère des Sports et de l’Education Physique donnent compétence exclusive au Ministère des Sports et de l’Education Physique de veiller au respect par les fédérations des lois et règlements en vigueur ; que la loi suscitée ne reconnait à la Chambre de Conciliation et d’ Arbitrage instituée au- près du Comité National Olympique et Sportif du Cameroun que le pouvoir de statuer sur les litiges opposant les licenciés et les fédérations sportives après épuise- ment des voies de recours internes à chaque fédération ; qu’en se prononçant sur un cas afférent au respect de la légalité républicaine, cette Chambre a outrepassé ses compétences en violation des règles de compétence qui, du reste, sont d’ordre public ».
Tombi à tout prix
Tombi à Roko se retrouvera ainsi conforté dans son siège de président. D’ailleurs, il recevra son onction finale en serrant la main de Paul Biya durant la finale de la coupe du Cameroun.
Comment comprendre qu’un communiqué radio-presse puisse évincer une décision de justice ? Ce, même si, selon ledit communiqué, il y aurait eu des concertations organisées au Minsep entre le patron des lieux et les « différentes parties prenantes » ?
Raison d’Etat ?
Certains juristes acquis à la cause du régime placent cet acte de Bidoung Mkpatt dans la catégorie des actes de gouvernement. Ont-ils raison ? D’abord, il convient de noter que le communiqué radio-presse n’existe pas dans la hiérarchie des normes juridiques du Cameroun. Vu sous cet angle, est-ce logique d’affubler la qualité d’acte de gouvernement à un tel document ? Partant, il convient de souligner qu’un acte de gouvernement est celui-là qui a cette particularité d’être insusceptible de recours devant les instances judiciaires. Le Conseil d’État ne voulait pas, à la base, contrôler de tels actes car il les considérait comme politiques. Les actes de gouvernement sont ceux que le juge administratif reconnaît comme tels, en refusant qu’ils puissent être discutés par la voie contentieuse, tant par voie d’action (dans le cadre d’un recours direct pour excès de pouvoir) que par voie d’exception (dans le cadre d’une exception d’illégalité ou d’un recours en responsabilité). Un communiqué radio-presse peut-il être considéré comme tel ? Quand on passe en revue la jurisprudence, il n’existe pas de précédent à la Bidoung Mkpatt. Son acte est donc une révolution en la matière.
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Attention au juridisme
Il ne faut surtout pas jeter l’eau du bain avec le bébé. Le Minsep a ses raisons, et c’est peut-être en cela aussi qu’on peut évoquer la raison d’Etat. Le feuilleton Fécafoot, riche en rebondissements, était devenu interminable. Dans une interview accordée à nos confrères de la Crtv dimanche dernier, le ministre a tenu à rappeler que tandis que les batailles de chiffonniers se poursuivent, le Cameroun lui, doit fait face à de grosses échéances sportives impliquant des conséquences à la fois sportives, politiques et diplomatiques : l’organisation des CAN 2016 et 2019. Nous avons un calendrier sportif à respecter. L’honneur du Cameroun est en jeu, dans un contexte où à moins d’un an de la première échéance, rien ou presque n’a encore été fait.
Paul Biya tient pourtant à ses CAN. Le temps qu’on perd à se battre, mieux vaut le capitaliser à construire. On se rend même compte que certains marchés y relatifs ont été passés dans l’urgence. Mais, le ministre avait-il besoin d’en arriver là ? On aurait pu, par des subterfuges si chers au régime en place, pousser cette CCA à rendre une décision favorable à Tombi à Roko. Avait-on besoin de jeter une fois de plus l’opprobre sur la justice camerounaise ?
On se souvient que ce n’est pas la première fois qu’un ministre de la République met en difficulté la justice de ce pays. Confère Ama Tutu Muna, ex-ministre des arts et de la culture, qui avait refusé d’exécuter une décision de la cour suprême dissolvant
la Socam au profit de la Cmc. On est dans un Etat de droit et quand, par certains agissements non-maquillés, le socle de la société qui est la justice est bafoué, à qui doit- on s’en remettre ?
Que dit Paul Biya qui est le garant de l’indépendance de cette justice ? Quelle est sa responsabilité dans cette chosification de sa justice ? Celle-ci est affaiblie, car le politique a pris le dessus.
Cette semaine, en soumettant cette question à nos experts, nous leur avons posé les questions suivantes : peut-on justifier le fait que par un simple communiqué, un ministre envoie à la poubelle une décision de justice? Maintenant, on évoque les questions de respect des échéances dans l’organisation des CAN. Le ministre n’a-t-il pas eu raison, au nom de l’intérêt supérieur de l’Etat, de mettre fin à ce conflit pour que le Cameroun puisse mieux se concentrer sur la préparation de ces échéances sportives? De même, on lance les pierres à Bidoung Mpkatt, mais, il n’est qu’un préposé d’un commettant qui est Paul Biya. Vu qu’il peut sembler incongru qu’un ministre via un communiqué porte une estocade à une décision de justice, quelle peut être la responsabilité du chef de l’Etat dans ce type de situation? Que peut faire la CCA pour que sa décision puisse être respectée ?
Kami Jefferson
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