Dans l’esprit des Africains, la victoire à la coupe du monde de football reste encore un objectif lointain, voire inaccessible. Parce que réservé, dit-on, aux « grandes équipes ». Curieusement, plusieurs équipes européennes s’appuient sur des joueurs d’origine africaine pour gagner. Autant dire que ce qui manque le plus à l’Afrique ce n’est pas le talent, mais l’organisation et le mental.
Le jour où les équipes du continent iront au Mondial avec l’ambition de remporter le trophée et non pour éviter le ridicule, il en ira autrement. Au-delà des incantations, l’Afrique doit se donner les moyens de la victoire
Même si les équipes africaines se sont illustrées tardivement à la coupe du monde de football, la première participation du continent remonte aux origines de cette grande compétition. L’Egypte est présente dès la deuxième édition de 1934 en Italie. Soixante-seize ans plus tard, en 2010, le Mondial va atterrir pour la première fois en terre africaine, plus précisément en Afrique du Sud. Alors que la participation est systématique depuis 1974, aucune sélection africaine n’a figuré jusqu’à ce jour dans le dernier carré en coupe du monde, les plus téméraires (Cameroun, Sénégal et Ghana) s’étant contentées des ¼ de finales. Pourquoi ce stade de la compétition est-il devenu un obstacle infranchissable pour les Africains alors que dans les catégories inférieures (coupes du monde des -17 ans et -20 ans), les Africains se sont déjà illustrés au plus haut niveau ?
Les équipes qui participent à la coupe du monde peuvent se répartir en trois grandes catégories : dans la première se trouvent les sélections d’envergure mondiale qui ont déjà été sacrées et sont de ce fait considérées comme des favoris logiques, des champions du monde en puissance. Dans la deuxième catégorie, figurent des équipes ayant enregistré des progressions sur longue période telle que reflète leur position au classement Fifa. Dans la troisième groupe, figurent des équipes sans conviction ni objectif, qui se retrouvent là comme par hasard et qui comptent sur un éventuel miracle pour traverser l’étape du premier tour. La plupart des représentants africains font partie de cette dernière catégorie. Peu d’entre eux se présentent en effet au Mondial avec la ferme détermination de remporter le trophée tant convoité. Même si on le proclame parfois, c’est du bout des lèvres. Il y a au départ comme un manque de vision, d’ambition, voire de culot, sur le double plan de l’encadrement administratif et technique. Le discours tenu aux joueurs, principaux artisans d’une éventuelle victoire, varie rarement : « faites-vous plaisir, donnez la meilleure image de notre football en évitant le ridicule » On l’aura compris : l’essentiel ce n’est pas le sacre final, mais plutôt une « participation honorable ». Alors que la flamboyante équipe du Cameroun à la Coupe du monde de 1982 avait la possibilité de dépasser le stade du premier tour, le sélectionneur de l’époque prêcha la retenue aux joueurs qui sortirent néanmoins de la compétition invaincus avec trois matchs nuls à leur actif. Les Lions de 1990 en Italie avaient des moyens pour se hisser au moins en demi-finales mais tout le monde avait désormais la tête ailleurs. Selon certains témoignages, à la veille de l’important match de quart de finale face à l’Angleterre, les officiels et les joueurs brulaient d’envie de rentrer « faire la fête au pays ». Apparemment, ils étaient satisfaits d’avoir « beaucoup fait ». Après une victoire retentissante contre la France en 2002, le va s’effondrer de façon inexplicable en ¼ face à une modeste équipe de Turquie En 2010, le Ghanéen Asamoah Gyan avait au bout du pied le pénalty pour propulser un pays africain pour la première fois en demi-finale. Ce fut un total gâchis.
Sortir du piège minimaliste
Ces multiples ratés sont révélateurs d’un état d’esprit qui fait l’apologie du service minimum. On va dans une grande compétition sportive non pour la remporter, mais pour limiter les dégâts, pour « faire l’essentiel » avec pour unique ambition de « donner une meilleure image » Les entraineurs l’ont si bien compris qu’ils privilégient des schémas tactiques faisant la part belle à l’attentisme, voire à la résignation, se contentant au besoin des « défaites honorables », alors qu’ils auraient pu mieux faire. On a pu ainsi assister en direct à la descente aux enfers de certaines équipes pourvues d’importants atouts mais qui ont renoncé volontairement à s’en servir quand les circonstances l’exigeaient. Il en va ainsi du Nigeria qui avait tous les moyens pour battre l’Argentine lors du troisième match de groupe en Russie mais qui a choisi de jouer à la défensive lors du dernier quart d’heure pour se contenter d’un match nul qualificatif. Le but argentin a réduit à néant tous ces calculs d’antiquaire. La leçon n’a malheureusement pas servi au Sénégal qui avait besoin d’un match nul et de 5 points pour passer en 8è de finales. Dominateurs face à la Colombie à la première mi-temps, les Africains se sont repliés étrangement dans la seconde manche dans leur défense qui a fini par céder sous les coups de boutoir des Colombiens survoltés. Qui faut-il blâmer dans ces cas ? On aura beau accuser l’arbitrage ou le manque de fair-play, les Africains ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Aussi longtemps que les représentants de la CAF iront à la coupe du monde pour faire de la figuration, le palmarès du continent dans cette compétition restera très maigre. Au risque de choquer certaines sensibilités, le problème des Africains en coupe du monde est plus d’ordre mental que technique. Au-delà de certains facteurs plus ou moins prévisibles, ce n’est pas uniquement le talent qui fait défaut chez l’Africain, mais une certaine disposition d’esprit qui handicape les représentants du continent qui ne semblent pas suffisamment armés de la motivation requise pour aller au bout de l’aventure. Et cela ne se limite pas aux simples questions des primes impayés ou insuffisantes, ni aux batailles administratives préjudiciables au bon rendement. On ne le dira jamais assez : le problème est surtout d’ordre mental, voire psychologique et se résume en un mot : le minimalisme. Du Cameroun au Nigeria en passant par le Maroc, la Tunisie, le Ghana ou le Sénégal, peu de pays ayant pris part jusqu’ici à une coupe du monde avaient l’intention dès le départ de la gagner. Même si l’espoir ne soulève pas nécessairement les montagnes, au moins il permet de mieux faire face à l’adversité.
Efficacité et gestion du timing
Même si on peut mettre l’élimination successive de l’Egypte, du Maroc, du Nigeria, du Sénégal et de la Tunisie sur le compte des incertitudes liées aux grandes joutes sportives, en plus des multiples paramètres et enjeux qui échappent souvent aux acteurs du terrain, il n’en demeure pas moins vrai que certains signes inquiétants qui s’accumulent doivent interpeller les instances dirigeantes du football africain. Les multiples plaintes entendues ici et là n’auront aucun écho durable dès lors que les joueurs africains ne se posent pas la question de fond : « pourquoi sont-ils si incapables de faire la décision sur un exploit individuel ou collectif et de sécuriser ensuite le résultat pour triompher au final ? N’est-il pas hasardeux, voire absurde de continuer à compter sur le bon vouloir des arbitres ou des penalties pour progresser dans un tournoi mondial ? On aura beau dénoncer les injustices ou des comportements suspects, il ne faut pas perdre de vue que la force des grandes équipes mondiales (Allemagne, Brésil, Italie, Argentine, Espagne, France, Angleterre) tient à leur force mentale, à leur grande capacité à combiner des ingrédients pour des victoires presque programmées à l’avance. C’est tout aussi vrai que le succès d’une grande équipe repose sur un ou deux joueurs d’exception,, dépositaires du jeu de l’équipe, leaders dans les vestiaires et en dehors et capables de remobiliser la troupe et de booster son moral quand cela est nécessaire.
Le Brésil des années 70 s’appuyait sur Pelé, celui de 1994 sur Romario et Bebeto, celle de 2002 sur Ronaldhino, etc. L’Italie de 1982 pouvait compter sur Paolo Rossi, l’Argentine de 1996 sur Maradona, la France de 1998 et de 2006 sur Zidane, celle de 2018 sur Kylian Mbappe. A contrario, des équipes africaines en coupe du monde disposent de moins en moins de joueurs charismatiques capables de produire l’étincelle indispensable ou de rallumer la flamme. Les équivalents de Milla ou Okocha sont devenus rares. A la coupe du monde 2018, l’Egyptien Salah et le Sénégalais Sadio Mané n’ont été que l’ombre d’eux-mêmes. Et les ennuis physiques n’expliquent pas tout. L’autre gros problème des joueurs africains c’est le manque de lucidité et de réalisme devant les buts adverses. Si on s’en tenait au nombre d’occasions créées lors de certaines rencontres, certaines équipes seraient déjà des champions du monde. Côté finition, on chercherait en vain un attaquant africain ayant le flair et le sens du but d’un Mario Mandzukic (Croatie), d’un Cristiano Ronaldo (Portugal), d’un Mbappe (France), d’un Harry Kane (Angleterre) ou d’un Lukaku (Belgique). Ils ne sont pas forcément des extra-terrestres, mais au-delà du talent intrinsèque, ils ont une particularité rare : la confiance en soi et l’envie de se surpasser en permanence. Le manque d’efficacité dans le dernier geste va de pair avec la gestion calamiteuse des fins de match. A la coupe du monde 2018, trois équipes ont quitté la compétition sur des petits détails liés à la mauvaise gestion du timing. Le Maroc tenait sa victoire à quelques minutes du coup de sifflet final avant que n’intervienne le but espagnol. Idem pour le Nigeria qui tenait la qualification avec le match nul avant le but assassin de l’Argentine. Le Sénégal peut nourrir des regrets d’avoir cédé de point du match nul au Japon (2-2) avant de recevoir le coup de massue face à la Colombie.
Une représentativité à améliorer
Pour certains observateurs, l’élimination précoce des sélections africaines peut remettre également en question l’actuelle formule des éliminatoires qui ne privilégierait pas toujours les meilleures équipes du continent et surtout celles ayant le plus d’expérience en coupe du monde. Lors d’un récent débat sur une chaine très suivie au Cameroun, l’un des intervenants s’est interrogé sur la pertinence de la formule de qualification en vigueur dans la zone Afrique. Alors qu’en Europe ou en Amérique du Sud, des sélections capées comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la France, le Portugal, l’Angleterre, l’Argentine, le Brésil ou l’Uruguay font rarement partie d’un même groupe qualificatif, histoire de les préserver d’une éventuelle élimination précoce, il n’en va pas de même en Afrique où des « mondialistes » (Algérie, Cameroun, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud, Ghana Nigeria, Maroc…) se retrouvent souvent dans le même groupe pour disputer l’unique place prévue. A contrario en Occident, la répartition des équipes dans différents chapeaux se fait en fonction du plus récent classement mondial de la FIFA, les meilleures équipes se retrouvant forcément dans le chapeau 1 des têtes de série. A l’issue des éliminatoires, le premier de chacun des groupes constitué est qualifié pour la Coupe du monde. En Amérique du Sud, la formule de qualification est encore plus simple. Les 10 équipes s’affrontent dans un seul groupe, selon la formule aller-retour. Les quatre premiers sont qualifiés directement, alors que le 5e affrontera en barrages une équipe issue de la zone Océanie. En Europe, des matchs de barrage sont également prévus pour les meilleurs deuxièmes. Ce qui n’est pas encore le cas en Afrique où tout repêchage est exclu. Il faut être premier de son groupe pour passer. Rien d’étonnant dès lors que certaines grosses pointures aient été absentes en Russie. Et pourtant, d’une édition à l’autre, la vérité est implacable : la coupe du monde n’est pas réservée aux novices, à ces équipes qui débarquent au bonheur de chance, à la suite d’une phase qualificative plus ou moins réussie. Cette grande compétition est d’abord l’affaire des équipes de tradition. Parce que mieux expérimentées et plus aguerries, des sélections comme l’ Allemagne, l’Argentine, le Brésil, l’Italie, l’Espagne ou la France qui ont déjà été sacrées au moins une fois ont plus de chance d’aller le plus loin possible que celles qui découvrent la compétition pour la première fois. Le plus souvent, les équipes africaines n’ont pas un palmarès assez consistant pour prétendre bouleverser la hiérarchie du football mondial. Hugo Broos, l’ex-sélectionneur des Lions, l’avait relevé en son temps avant d’être vilipendé.
Le débat sur ne niveau réel de certaines équipes qualifiées en coupe du monde reste aussi d’actualité. Le bilan mitigé de l’Afrique en coupe du monde interpelle principalement les instances dirigeantes du football africain qui ont le devoir de réunir tous les ingrédients susceptibles de favoriser une meilleure représentativité de l’Afrique. Il est urgent pour cela d’explorer des voies et moyens pour être plus présent là où se prennent des grandes décisions qui engagent le football mondial. Entre autres mesures éventuelles à préconiser figurent la révision de la formule de qualification en Afrique ainsi que l’exercice d’un lobbying plus appuyé en vue de mieux défendre l’image et les intérêts du football africain à l’international.
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Jean Marie NZEKOUE
Jean Marie NZEKOUE est éditorialiste, auteur de : Afrique, faux débats, vrais défis, L’Harmattan, Paris (2008) ; L’Aventure mondiale du football africain (2010)