Le Landerneau footballistique camerounais, déjà passablement surprenant, s’est emballé ces derniers mois, sous l’effet de la fièvre provoquée par Barcelone, notre nouveau club favori, de la sortie médiatique du directeur des sports, de l’entrée de M. Prêcheur et, accessoirement, d’un match décisif contre le Bénin dont la préparation est confiée à un salarié sans salaire.
Les questions de sous et de salaire sont de nature à engendrer des débats oiseux. Je propose qu’on passe rapidement outre. Toutefois, permettez à l’observateur que je suis d’exprimer ses états d’âme à cet égard. Vous savez que je n’ai jamais raté une occasion de brocarder l’autorité footballistique camerounaise et de dénoncer sa turpitude et sa palinodie face aux grands enjeux de notre sport favori. Mais, lorsque deux employés l’accusent de les affamer depuis de longs mois en les privant de salaire, je me pose un certain nombre de questions.
Comment font donc M. Corfou (11 mois sans salaire) et M. Jorge (5 mois) pour vivre ? Lequel de mes lecteurs a-t-il déjà vu l’une ou l’autre de ces personnes à la soupe populaire au Secours catholique ou devant les étals de petits cobayes grillés, la nuit, à Mvog-Ada ? Nous cacherait-on quelque chose ?
Cela dit, mon propos est ailleurs. Les arguties de M. Ndzana (Voir article » Robert Ndjana Directeur des Sports : « Artur Jorge, Corfou et Schäfer seront payés »« )s’escrimant à expliquer l’indigence du système d’administration des salaires de la fonction publique camerounaise ne me concernent pas non plus. Elles sont au choix un ramassis de sottises, un aveu d’incompétence au haut niveau et la manifestation d’un cynisme bien camerounais. Rien de nouveau donc, on savait déjà tout ça.
Monsieur Prêcheur, le tout nouveau directeur général de la Fécafoot, est arrivé sur la pointe des pieds, effacé derrière M. Iya, qui s’excusait presque de l’avoir recruté. Pourtant, la décision de créer un poste distinct de directeur mérite d’être saluée avec beaucoup de chaleur. Dans les colonnes de Camfoot, nous avons essayé de montrer l’avantage qu’il y avait à créer un tel poste et à y nommer une personnalité de premier plan. Nous eussions certes aimé – nous l’avons dit – qu’un poste similaire soit réservé à l’équipe nationale de football et occupé par l’entraîneur. Nous n’avons pas été entièrement entendus, mais nous pensons que M. Iya nous a écoutés. M. Prêcheur n’a donc, à première vue, aucune raison de raser les murs.
Son cas suscite néanmoins un certain nombre d’interrogations, dont la moindre n’est pas le fait que, comme son nom ne l’indique pas, M. Prêcheur est un Blanc bon teint. Et, en passant, de nationalité française. Ce sont là des choses qu’on remarque chez nous au pays. Une autre chose, un détail : M. Prêcheur n’aurait de la conduite des affaires du football aucune connaissance, ni expérience reconnues.
Que n’ai-je pas entendu ? Un Blanc français ? M. Iya n’a-t-il pas pu trouver chez nous un Camerounais plus ou moins noir avec les connaissances et l’expérience voulues pour occuper le poste de directeur général de la Fécafoot ? Ou à défaut d’un Camerounais, un Blanc bosniaque ? M. Iya a prosaïquement laissé entendre que son choix avait été uniquement motivé par la modération relative des prétentions du candidat.
Libre à vous de vous émouvoir de cette réponse ou de saluer le souci du président de la Fécafoot de ne pas jeter ses sous par la fenêtre. Je ne crois cependant pas que ce soit là la vraie raison. Il y a autre chose. Il fallait un Blanc qui parle français. Point. Pendant la recherche de la perle rare, M. Iya avait donc le regard solidement rivé sur la ligne bleue des Vosges.
Dans le combat, à fleuret moucheté certes, qui s’est engagé entre le ministre des sports et le président de la Fécafoot depuis l’affaire des recettes de match, M. Prêcheur est à la fois le fusible facile à sauter et le jocker de M. Iya. Imaginez un peu la prochaine rencontre entre le ministre et le président. Mbarga Mboa suivi de Ndzana, et Iya enveloppé de la présence d’un Blanc, à la fois factotum et gorille. Qui, d’après vous, va gagner ? Avez-vous déjà entendu qu’un grand du pays traînant dans son sillage un serviteur blanc s’est laissé damer le pion par un autre dont le personnel de maison vient d’Akono ?
Non content de gagner sur la table des négociations, M. Iya a gagné sur le plan financier. Même s’il n’a pas besoin de nos conseils, nous allons lui en donner quand même.
Monsieur le Président, ne le payez pas ! Ces gens-là n’ont pas besoin de salaire, sinon comment expliquer qu’en onze mois et plus on ne les ait jamais vus expulsés de leurs villas des beaux quartiers, qu’ils n’aient jamais cessé de conduire de belles voitures, de prendre l’avion, de manger aux meilleures tables, de festoyer chez de généreux amphitryons ? Et puis, nous civiliser, nous guider et nous sortir des ténèbres, n’est-ce pas là la mission, le fardeau de tout homme blanc ? Pourquoi paieriez-vous, vraiment ? Ces gens-là, Monsieur, surtout ceux qui sont passés par l’AOF (Afrique occidentale française devenue CEDEAO) ne demandent rien d’autre que la chance de porter, même de façon imaginaire, un casque colonial sur la tête et un fouet à la main. C’est lui qui vous doit quelque chose.
Et si, dans onze mois, celui-là aussi venait vous enquiquiner au sujet d’argent, prenez votre meilleur accent de Garoua, et posez-lui la question suivante : « Mon frère, quelqu’un t’a envoyé ? Tu savais non ?»
Mais ce faisant, Monsieur le Président, n’oubliez jamais que le Cameroun n’est pas le Dahomey. Nous n’avons jamais été une colonie française.