« Je suis très fier de ma longue carrière de footballeur. Malgré le fait que je n’arrive pas à oublier mon absence sur le terrain pendant les matches des Lions Indomptables à la phase finale de la coupe du monde de football (la toute première à laquelle notre pays a pris part) 1982 en Espagne. En fait, capitaine des Lions Indomptables à cette époque-là, j’étais un des artisans de la qualification du Cameroun. Je me rappelle du dernier match de qualification à Kenitra au Maroc, contre le Maroc. Une rencontre au cours de laquelle je me suis donné à fond comme ce fut d’ailleurs le cas pendant les autres matches rentrant dans le cadre des éliminatoires pour cette compétition mondiale. J’ai certes fait partie des 22 Lions de l’expédition espagnole mais, ne pas être sur le terrain m’a beaucoup frustré. Bon, ce fut le choix de l’entraîneur de l’époque, le Français Jean Vincent. J’avais respecté ce choix la mort dans l’âme. » François Doumbè Léa possède une mémoire d’éléphant. Cet épisode, et bien d’autres des années 70 et 80 (bons ou mauvais), il les raconte avec aisance.
Installé dans un siège au parvis de sa modeste demeure au village Bonamoudourou à Deido-Douala, l’ex-capitaine des Lions Indomptables reconverti dans la formation de jeunes footballeurs parle avec délectation de sa longue carrière de footballeur. En évoquant des hauts et des bas. “ Honnêtement, le seul mauvais souvenir que je retiens jusqu’au jour d’aujourd’hui est l’épisode de la coupe du monde 1982 que je vous ai raconté. En termes de bons souvenirs, j’en ai tellement eu tout au long de ma carrière, avec les différents clubs dans lesquels j’ai joué et avec les Lions Indomptables toutes catégories confondues, de Juniors jusqu’à Seniors en passant par les Espoirs. Mais, le meilleur souvenir que j’ai toujours en mémoire est la victoire des Lions Indomptables à la coupe d’Afrique des nations (Can) de football de 1984 à Abidjan en Côte d’Ivoire. La toute première Can remportée par le Cameroun. Pour moi, la victoire à la Can est inoubliable. Car, je fus titulaire durant toute la compétition, à la grande satisfaction de mes fans et autres dirigeants qui n’avaient pas caché leur déception deux ans plus tôt, quand quelqu’un d’autre (Ndlr : Elie Onana Eloundou dit Panka) fut titularisé à ma place ”, précise-t-il.
Penalty légendaire, Youssouf Fofana dompté…
Pour François Doumbè Léa, la Can 1984 est mémorable pour plusieurs autres raisons que la victoire finale contre le Nigeria (3-1) au stade Félix Houphouët-Boigny à Abidjan. “ J’ai toujours à l’esprit notre match de demi-finale remporté à l’issue de la séance des tirs aux buts face à l’Algérie, à Bouaké. Sur mes frêles épaules, j’ai eu la lourde responsabilité de tirer le dernier penalty des Lions Indomptables. Un penalty couperet que j’ai magistralement marqué, et qui nous a ouvert les portes de la finale.
Il y a aussi notre deuxième match de poule, contre la Côte d’Ivoire. Le jeune attaquant ivoirien Youssouf Fofana était très virevoltant. Il dribblait à tout vent certains de nos défenseurs mais, je le stoppais toujours net dès qu’il arrivait à mon niveau. Feu follet redouté par les défenseurs africains à cette époque-là, Youssouf Fofana est un jeune joueur féru de dribbles et d’une rapidité indescriptible. Il commence ce match contre le Cameroun à la vitesse V. Quelques minutes après le coup d’envoi, il rase à la vitesse de la lumière la défense camerounaise et décoche un tir qui s’écrase sur le montant droit de Joseph Antoine Bell. Après une accalmie, il amorce une autre attaque et se retrouve devant moi. Je lui ouvre grandement les jambes pour l’inviter à me mettre un « zolo » (petit pont). Youssouf Fofana ne se fait pas prier mais, il ne sait pas que je le calcule. Je m’en tire en pivotant sur moi-même au moment où le ballon passe entre mes jambes puis, je le récupère de l’intérieur du pied droit ”, se souvient avec joie l’un des meilleurs liberos camerounais et africains de tous les temps.
De telles histoires sur sa carrière de footballeur en clubs et en équipe nationale, François Doumbè Léa en a à profusion. Il aime aussi raconter son passage du poste de latéral droit (son tout premier poste chez les Lions Indomptables) à celui de libéro. “ C’était au milieu des années 70, à l’occasion du match amical retour entre les Lions Indomptables et la grande formation française de Saint-Etienne, au stade omnisports Ahmadou Ahidjo à Yaoundé. Au match amical aller joué à Douala, j’avais évolué à mon poste habituel, latéral droit, avec Thomas Nkono dans les buts. Quelques jours avant la rencontre retour, notre entraîneur de l’époque, le Yougoslave Vladimir Béara, a des problèmes avec quelques joueurs clés de l’équipe. Il décide alors de me faire jouer libéro avec, dans les buts, Joseph Antoine Bell. Tout jeune à l’époque, aux côtés des anciens, j’ai peur d’une telle responsabilité dans l’axe. Toutefois, je suis galvanisé par l’entraîneur et mes coéquipiers. Ce qui me fait livrer un grand match, sans faute. A la réception dans la soirée au palais présidentiel, je suis bien félicité par le chef de l’Etat Ahmadou Ahidjo. Et, toutes les personnalités présentes me créditent d’une bonne prestation. C’est depuis lors que je me suis concentré au poste de libéro. Et, j’y ai joué jusqu’à la fin de ma carrière. Cependant, par moment, quand il était nécessaire, je donnais un coup de main à mon ancien poste ; et même à mon tout premier poste sur un terrain de football, milieu de terrain offensif ou défensif ”, raconte ce natif de Bonamoudourou.
Un des renforts de Tonnerre et des militaires
A ses débuts dans le football, François Doumbè Léa évolue au milieu de terrain. A 16 ans, il est l’une des pièces maîtresses de l’entre-jeu du club Espérance de Deido (pépinière de Léopard de Douala), créé par le banquier Ambroise Mandenguè. Dans ce club engagé dans le championnat de la ligue du Wouri, il passe une année en jouant au milieu de terrain : offensif ou défensif selon les matches et l’entraîneur. Après une année dans Espérance, François Doumbè Léa rejoint Léopard de Douala (Bana Ba Njoh), l’équipe mythique du canton Deido. Dans le souci de jouer un rôle important sur l’échiquier national et continental, les Bana Ba Njoh recrutent Albert Roger Milla, Blek Ebanda, Ezeka et Daniel Gozo (frère aîné de feu Anoumou Gozo qui fut sociétaire de Oryx de Douala, Canon de Yaoundé puis Racing de Bafoussam). “ En 1972, Léopard est une équipe compacte, forte et intraitable. Nous sommes tous de jeunes pétris de talents. Nous remportons successivement deux titres de champion du Cameroun, en 1972 et en 1973. Sur le plan africain, nous disputons la coupe des clubs champions après le titre de 1972, jusqu’en demi-finale où nous sommes éliminés. Après le titre de 1973, l’on a refusé de nous affilier parce que Tonnerre de Yaoundé voulait à tout prix Albert Roger Milla et nos dirigeants ne voulaient pas céder cet important joueur de notre dispositif offensif ”, révèle avec pincement au coeur celui qui, plus tard, est surnommé “ Général ” puis “ Maréchal ”.
Ces titres, François Doumbè Léa les porte toujours. “ Je ne peux pas vous dire pourquoi on m’a donné ces titres. Je préfère que d’autres joueurs ou observateurs du football de ma génération vous le disent ”, lance-t-il. Soucieux de le savoir, Le Messager s’est rapproché de plusieurs anciens Lions Indomptables. “ C’est quand il est allé en renfort au sein de l’équipe nationale militaire, en compagnie des Nkono, Milla…, que François Doumbè Léa a reçu le titre de Général. Et plus tard, celui de Maréchal. Ces renforts n’étaient pas de la tricherie car, à l’époque, l’équipe nationale civile était en quelque sorte une armée ”, expliquent plusieurs anciens coéquipiers du libéro à la retraite. Il a aussi renforcé Tonnerre de Yaoundé, en compagnie d’autres talentueux footballeurs dont Adalbert Mangamba. “ C’était dans le cadre de la finale de la coupe d’Afrique des vainqueurs de coupes en 1975. La toute première organisée sur le continent par la Confédération africaine de football (Caf), que nous avions aidé Tonnerre de Yaoundé à remporter face à une équipe ivoirienne ”, confie François Doumbè Léa.
Orphelin à 2 ans, international à 18 ans
Devenu pièce maîtresse de Léopard de Douala et des Lions Indomptables dès le début des années 70, François Doumbè Léa est courtisé par toutes les grandes équipes du Cameroun. Face à moult sollicitations, son cœur finit par battre pour le Canon de Yaoundé à la fin de l’année 1976, après la descende de Léopard de Douala en deuxième division. Avec Canon, il remporte plusieurs titres mais, ne parvient pas à résister aux charmes de L’Union sportive de Douala. Courtisé depuis plusieurs années par les “ Nassaras-Kamakaï ” de la capitale économique, François Doumbè Léa cède enfin en 1979. “ Les propositions que m’avait faites le président Emmanuel Ngassa Happi étaient très alléchantes. En plus de cela, il y avait la santé de ma maman. Ma mère étant affaiblie, il fallait que je sois auprès d’elle à Douala. C’est ainsi que je pars du Canon malgré la coupe que nous venons de remporter face à Union de Douala (4-3). Je retrouve donc Union sportive de Douala ”, confie t-il, en rappelant qu’il ne pouvait pas faire autrement car, “ ma mère était tout ce qui me restait. Je n’avais pas connu mon père. J’avais 2 ans quand il mourut. Mon frère aîné (Doumbè Léa 1) qui était aussi footballeur, avait 4 ans ”, regrette François Doumbè Léa, deuxième enfant d’une fratrie de cinq personnes dont 4 hommes (aujourd’hui, 1 est décédé) et 1 femme.
Avec l’Union de Douala, le “ Général ” remporte plusieurs titres nationaux et continentaux. Il quitte cette formation en 1983, après une finale perdue face à Canon de Yaoundé (2-3) au stade omnisports Ahmadou Ahidjo. “ Des gens m’avaient accusé d’avoir, en compagnie de René Ndjeya, vendu cette finale au Canon. Un mensonge !!! Plus tard, tous ceux qui nous accusaient injustement nous avaient présenté des excuses et voulaient que nous ne partions pas de l’Union. Mais, comme notre honneur était déjà bien sali, nous sommes partis pour Rail de Douala ”, déclare-t-il. C’est dans l’équipe des cheminots qu’il met un terme à sa carrière de footballeur, après une finale de coupe du Cameroun perdue (0-1) face à Canon de Yaoundé.
Le “ Maréchal ” Doumbè Léa se reconverti dans l’encadrement technique puis administratif du football. Il est tour à tour entraîneur adjoint (sous Léonard Nséké) puis principal de Léopard de Douala. Par la suite, directeur général dudit club. Parti de la direction générale des Bana Ba Njoh, il se lance dans la formation des jeunes. A la Kadji sport academy (Ksa), il est, de 1998 à 2001, responsable de la formation des moins de 15 ans et des moins de 17 ans. Aujourd’hui, il s’apprête à prendre les rênes de Jeunesse de Bonamoussadi dont il fût auparavant membre de l’encadrement technique. “ Mon souci c’est la formation des jeunes. La Fécafoot et la tutelle devraient aussi, par moment, penser aux anciens comme nous pour être conseillers des actuels Lions pendant les compétitions internationales ; comme ce fut le cas quand nous jouions, avec constamment, à nos côtés, des anciens comme Emmanuel Mvé, Atangana Ottou, Mbappé Leppé et autres, portant le titre de conseiller ”, souhaite t-il.
Biographie
– Né le : 15 janvier 1952 à Douala
– Postes successifs : Milieu de terrain (offensif et défensif), latéral droit et libéro
– Poste de prédilection : Libéro
– Carrière sportive : 1968 – 1986
– Clubs successifs : Espérance de Deido, Léopard de Douala, Canon de Yaoundé, Union de Douala, Rail de Douala
– Palmarès (Principaux titres)
- Can (sorti au premier tour en 1982, vainqueur en 1984)
- Coupe du monde (1982, première participation du Cameroun, sorti au premier tour)
- Coupe d’Afrique des clubs champions (vainqueur en 1978-1979 avec Union de Douala, demi-finaliste en 1971-1972 avec Léopard de Douala)
- Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupes (vainqueur en 1980-1981 avec Union de Douala)
– Distinction honorifique : Commandeur de l’ordre de la valeur
Par Honoré FOIMOUKOM