Yvette habitait au sud du quartier, du côté des Nkom à l’Eglise protestante de Nkongmondo. Une véritable tarderie, teigneuse comme un pou et pas particulièrement gentille, qui s’était toquée d’entrer à Cameroon Airlines comme hôtesse, un nouveau métier auquel n’avaient accès alors que les nièces de l’évêque, les plus belles filles du Lycée de jeunes filles et les filles recommandées par Tanko Hassan, ci-devant émir de l’Union nationale camerounaise à Douala.
Un an plus tard, Yvette était devenue Sœur Marie Paul, chez les Sœurs du Saint-Esprit. C’était le début des années 70 et les Camerounais étaient encore suffisamment lucides pour reconnaître le meilleur chemin qui leur était tracé. Par exemple, les jeunes filles que la beauté n’étouffait pas épousaient invariablement Dieu. C’était logique : il reconnaît toujours les siens.
J’ai beaucoup pensé à Yvette au cours de la CHAN dont nous venons d’être vidés. Je ne vais pas prétendre ici que j’ai mal. Je ne vais pas non plus jubiler en vous disant que je vous l’avais bien dit, qu’il n’y avait rien à attendre, qu’il n’y avait rien à voir. De fait, je ne ressens rien du tout, et s’il était possible de réunir pour les brûler tous les commentaires, toutes les interviews et toutes les analyses mettant toujours à l’index les mêmes tsars qui dirigent le football depuis presque aussi longtemps que Ben Ali a dirigé la Tunisie, c’est d’un cœur sec que j’assisterais à un tel autodafé. Parce que je suis convaincu que le délabrement du foot n’est pas uniquement attribuable à M. Iya, à M. Mveng ni à l’état du Stade de la Réunification de Douala.
J’ai pensé à Yvette parce que j’ai l’espoir que la lucidité ne va pas éternellement déserter l’esprit des Camerounais. Les garçons que j’ai vu jouer pendant une dizaine de jours au Soudan n’ont aucune chance, accident vertueux exclu, de jouer au haut niveau sur la scène internationale avant leur quarantième anniversaire. On peut donc légitimement croire qu’ils le savent ou le sauront très vite et que, comme Yvette, ils choisiront peut-être d’entrer dans les ordres. Ou à l’ENAM, tiens.
Ce que les analystes du football camerounais répugnent à dire, et cela m’est incompréhensible, c’est qu’il ne se profile à l’horizon aucun talent palpable sur lequel fonder un quelconque espoir d’embellissement. Pis encore, comme l’a justement relevé Otto Pfister, il n’y aura sans doute rien dans les dix années qui viennent.
Qu’on explique le tarissement du talent par l’incapacité d’une institution camerounaise à s’acquitter de sa mission ou par la démission des pouvoirs publics face à leur devoir de sauvegarde des intérêts du peuple, soit ! Mais qu’on reconnaisse que naturellement nous jouons de moins en moins bien au foot, que le « ntong » nous abandonne de plus en plus et que, tout bien pesé, nous sommes à la place que nous méritons, c’est-à-dire aux alentours du 50e rang au hit-parade du foot mondial.