Avec le match nul arraché à l’extérieur face à la Zambie (2-2) les Lions indomptables ont terminé sur une bonne note le dernier round qualificatif pour la Coupe du monde 2018. Même sans être qualifiés, ils ont au moins sauvé l’honneur et peuvent être crédités d’un parcours acceptable, avec une seule défaite dans la dernière phase éliminatoire. Même sans remporter la victoire tant espérée qui aurait pu améliorer le classement de l’équipe, le sélectionneur Hugo Broos peut au moins se consoler d’avoir relevé la crinière des fauves.
Sauf que la dernière sortie en date de la sélection nationale a coïncidé avec la publication d’informations peu rassurantes concernant son avenir à la tête de la sélection nationale. De nombreuses nouvelles, plus ou moins vérifiables, circulent en effet ces derniers jours dans les réseaux sociaux au sujet d’une « démission imminente » du technicien belge qui aurait déjà informé ses employeurs. Sans doute poussé à s’expliquer, l’intéressé vient de démentir des « rumeurs sans fondement ». Un démenti qui rappelle étrangement celui de février 2017 concernant d’éventuels contacts avec des fédérations étrangères. « Je tiens à préciser que j’ai certes été approché par la Fédération sud-africaine de football, mais je n’ai donné aucune suite à leur offre. Je suis sous contrat avec la Fecafoot avec laquelle j’entretiens d’excellentes relations de travail et qui m’a donné l’opportunité de participer à la reconstruction de son équipe nationale», avait-il alors expliqué, avant d’émettre plus tard le vœu de poursuivre l’aventure avec le Cameroun jusqu’à la CAN 2019.
Les récentes folles rumeurs à propos de son éventuel départ viennent comme en écho aux vœux maintes fois exprimés par ceux qui, pour diverses des raisons, ne s’accommodent plus de la présence de Broos. Et l’intéressé a beau démentir, beaucoup restent sceptiques. Selon l’adage qui veut qu’il « n’y a pas de fumée sans feu », les informations distillées ici et là peuvent avoir une once de crédibilité, d’autant plus que la principale source est un fameux hebdomadaire panafricain basé à Paris qui a ses entrées dans le landerneau. Ceux qui aimeraient voir l’actuel sélectionneur des Lions débarrasser le plancher tout comme ceux qui souhaitent son maintien en poste ont certainement leurs raisons, basées sur des grilles d’analyses plus ou moins objectives. Pour les uns, le principal atout dont dispose le technicien belge est son indépendance d’esprit et la tonalité de son discours très peu diplomatique. Ce qui lui a permis jusqu’ici de mettre un terme au phénomène du « titre foncier » qui a tant nuit par le passé à la saine concurrence entre joueurs. On peut mettre aussi au crédit de sa méthode le retour d’un semblant de discipline au sein d’une sélection autrefois écartelée par des égos surdimensionnés. Pour d’autres par contre, Hugo Broos est un tacticien brouillon, sans conviction, doublé d’un mauvais communicateur. Selon eux, il a peiné jusqu’ici à mettre sur pied une équipe basée sur un noyau dur autour duquel graviteraient des électrons libres. Le fait de bouleverser en permanence un effectif constitué de certains éléments contestés constitue la preuve d’un manque de repères et d’autorité. D’où la nécessité de le virer pour recruter un « grand » sélectionneur renommé.
Un bilan à défendre
A côté de ces deux positions, existent d’autres courants de pensée alimentés ou non par des groupes de pression qui trouveraient leurs comptes dans un chamboulement du staff technique actuel. Qui a raison et qui a tort ? A chacun sa vérité ! A notre avis, la vraie question est celle de savoir quel impact aurait un éventuel changement d’entraineur sur la trajectoire et surtout la stabilité de l’équipe nationale à moins de deux ans d’une compétition majeure comme la Coupe d’Afrique des nations 2019 que va organiser le Cameroun. Chacun a son avis sur la question. Le point de vue personnel exposé ici n’est pas un plaidoyer pour le maintien ou non d’Hugo Broos. Nous n’avons d’ailleurs pas qualité pour le faire. Par ailleurs, on ne saurait nous soupçonner de collusion avec un sélectionneur qu’il ne nous a jamais été possible de rencontrer physiquement. Baignant constamment dans l’information sportive avec nos attributions et contributions éditoriales, ce ne sont pas les prétextes qui ont manqué pour le faire. L’actuel coach des Lions a certainement des défauts qui ont été largement évoqués dans ces colonnes, parmi lesquels le manque criard de discrétion et l’exposition à la vindicte de certains éléments-clés de l’effectif. Cela dit, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain car tout n’est pas négatif. Hugo Broos n’est pas aussi nul que prétendent certains et il a un bilan à défendre. Malheureusement, les Camerounais discutent souvent avec l’émotion et la passion au lieu de prendre en considération les faits qui sont têtus. Parlons-en. Le 12 février 2016, un illustre inconnu et ex-entraineur d’un modeste club du championnat algérien, reprend en main une équipe nationale mal en point, avec pour mission de « qualifier le Cameroun pour la CAN 2017 et pour la Coupe du monde 2018 ». Il s’attèle à la tâche avec ses deux plus proches collaborateurs et rebâtit une équipe conquérante à partir de rien ou presque. Non seulement il qualifie l’équipe nationale, mais en fait un champion d’Afrique (CAN 2017), mettant ainsi fin à 15 ans de traversée de désert. Un exploit retentissant qui ne relève pas uniquement du hasard. Nous avons été amenés à constater que l’absence des « grands joueurs » dans l’effectif aura été compensée par l’instauration d’un nouvel état d’esprit où aucune « vedette » ne faisait plus à la pluie et le beau temps comme par le passé. Ceux qui regrettent aujourd’hui l’absence des « grands noms » au sein des Lions auraient bien du mal à nous expliquer pourquoi ces derniers n’ont rien gagné depuis la CAN 2002, accumulant des échecs et des scandales à répétition en coupe du monde (2002, 2010, 2016) où le Cameroun a toujours terminé à la dernière place. Pour la deuxième mission de qualification pour la coupe du monde 2018, le Cameroun n’a pas été ridicule, avec une seule défaite, dans un groupe constitué des ténors du football africain (Algérie, Nigeria, Zambie). Notre sort aurait été sans doute plus favorable dans une poule moins difficile. L’élimination de la coupe du monde 2018 n’est donc pas uniquement le fait de l’encadrement technique ou des joueurs. C’est aussi un coup du sort lié, entre autres, à un environnement très vicié par des multiples « affaires » qui ont conduit à l’actuelle situation de normalisation. A partir de ces faits objectifs, ceux qui continuent de traiter HB de « coach sans envergure » se doivent de répondre à une question essentielle : comment un « petit » entraineur a t-il réussi à remporter un trophée majeur avec des joueurs moyens là où des « grands entraineurs » et des « grands joueurs » ont échoué lamentablement pendant des années ? A cause d’une mauvaise Coupe des confédérations et de la défaite face au Nigeria, on veut nous faire croire que HB est le problème du football camerounais alors que nous sommes victimes de nos propres turpitudes (normalisation). Même si les conditions de son recrutement n’étaient pas nettes, au moins il a fait une grande partie de ce qu’on attendait de lui et c’est le plus important. On a été donc surpris que quelques mois à peine après le triomphe à la CAN gabonaise, il était déjà question de son départ. Comme les Camerounais ont la mémoire courte et brûlent d’impatience !
Eternel recommencement ?
Au risque de choquer certains, le staff technique actuel ne constitue pas le problème central des Lions et du football camerounais en général. La force des grandes nations de football c’est leur capacité à encaisser des chocs, à surmonter des obstacles sur leurs parcours pour aller vers un objectif plus grand. Si par exemple l’argument du mauvais résultat ponctuel était décisif pour changer d’entraineur, Joachim Löw, l’emblématique sélectionneur d’Allemagne en poste depuis 2006, n’aurait jamais continué après deux échecs successifs en demi-finale de coupe du monde (2006 et 2010). La patience a fini par payer avec la victoire à la coupe du monde de 2014 au Brésil. Sur le banc de touche de l’équipe de France depuis 2012, Didier Deschamps aurait pu rendre son tablier après les échecs successifs à la Coupe du monde 2014 et à l’Euro 2016. Son maintien en poste lui a permis de bâtir un groupe solide et redouté qui fait partie des favoris de la coupe du monde 2018. On peut multiplier d’autres exemples avec les grandes équipes comme le Brésil ou l’Espagne où la stabilité de Felipe Scolari ou d’un Vicente del Bosque a porté des fruits en coupe du monde 2002 et 2010.
A contrario en Afrique, c’est l’instabilité permanente. Au moindre faux pas, au moindre prétexte, on a pris l’habitude de tout chambouler, tant au niveau du staff technique qu’à celui des joueurs. On n’a jamais réussi à anticiper, à bâtir sur la durée, même quand les résultats positifs sont au rendez-vous. Après la victoire à la CAN 2002 avec une équipe du Cameroun au jeu chatoyant, Pierre Lechantre a été renvoyé comme un malpropre. La Côte d’Ivoire a laissé filer sans raison valable un « sorcier », nommé Hervé Renard qui après avoir gagné la CAN 2015, fait aujourd’hui le bonheur du Maroc qui vient justement de battre la Côte d’Ivoire à domicile pour se qualifier pour la Coupe du monde 2018. Le cas d’Aliou Cissé au Sénégal constitue une exception. Malgré l’échec à la CAN 2017, il a été maintenu en poste et a réussi par la suite à qualifier son équipe pour le Mondial 2018. Pour revenir au débat sur les « petits » et « grands » entraîneurs, il est loisible de constater que pour être un bon coach, les qualités techniques et managériales ne suffisent pas. Il faut aussi une bonne dose de chance. Ceux qui prétendent que HB et son groupe ont gagné la CAN 2017 par le hasard de la chance ne croient donc pas si bien dire ! On remarquera que les « grands entraîneurs » (Courbis, Giresse, Lamouchi, Wilmot …) qu’on suggère ici et là pour le remplacer n’ont malheureusement gagné aucun titre majeur dans leur carrière.
Cessons donc de rêver et ayons les pieds sur terre. Le Cameroun a un énorme défi à relever en 2019 : conserver à domicile le trophée de la CAN remporté il y a deux ans. Hugo Broos a jeté les fondations d’un groupe certes jeune, peu expérimenté, mais volontaire et altruiste. Ce travail de reconstruction mérite d’être enrichi et consolidé plutôt que d’être démoli pour recommencer à zéro comme nous savons bien le faire. Pour l’instant, la vraie question est la suivante : le Cameroun peut-il se permettre, à moins de deux ans d’une échéance capitale, de bouleverser l’encadrement technique pour commencer à rebâtir une nouvelle équipe et ouvrir le cycle d’une reconstruction sans fin, sous le prétexte qu’il faut déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Ne serait-il pas plus sage de ramener HB à des meilleurs sentiments en donnant une suite à ses réclamations salariales ou autres et en mieux le cadrant ? Sans être superstitieux pour un sou, on peut observer que dans le sport de haut niveau, notamment en football, les erreurs de casting profitent souvent à l’adversaire et se payent cash. Quelques exemples : lors des éliminatoires de la CAN 2015, le Cameroun étrille à Yaoundé une équipe de Côte d’Ivoire déboussolée (3-1) et s’empare de la tête du groupe devant la RDC. Au match retour, la Côte d’Ivoire a besoin impérativement d’un point. Les Lions jouent relâchés et score vierge arrange tout le monde. Sauf que cette Côte d’Ivoire « repêchée » in extremis va éliminer quelques mois plus tard le Cameroun en quart de finales et remporter la CAN 2015 ! Dans la même logique, il y a lieu de craindre qu’un Hugo Broos lâché par le Cameroun soit récupéré par une grande sélection nationale africaine et revienne plus tard nous damer le pion en…2019. Ce scénario catastrophe n’est pas une simple vue de l’esprit. Cela s’est déjà produit à deux reprises avec Hervé Renard parti de Zambie pour la Côte d’Ivoire, puis de la Côte d’Ivoire pour le Maroc. A chaque fois, il a vaincu la sélection nationale du pays où il a exercé précédemment, tant à la CAN qu’en coupe du monde. Evidemment, nous ne souhaitons pas une telle loi des séries pour le Cameroun. Mais gare au choc en retour !
Jean Marie NZEKOUE
Editorialiste, chroniqueur sportif, auteur de «L’aventure mondiale du football africain » (2010)