M. Roger Milla a déjà dit, le plus sérieusement du monde, que les Lions Indomptables, après tout, n’avaient pas besoin d’un entraîneur. Ce n’est pas là l’avatar de la pire inconséquence de notre ambassadeur. D’ailleurs, sur la foi de l’évolution qui se dégage sur le front de l’encadrement des équipes nationales africaines, on peut penser que M. Milla a des émules. Ce qui, malheureusement, n’est pas aussi rassurant qu’on peut le penser. Les Ivoiriens viennent de recruter M. Eriksson pour amener les Eléphants à la Coupe du monde, qui commence dans deux mois.
Au-delà du tohu-bohu que la décision des Ivoiriens a suscité, il reste un fait, prosaïque à souhait, que personne ne semble avoir remarqué. Les Éléphants sont, depuis près de dix ans, la meilleure équipe sur papier du continent africain. Il faut avouer que la génération de footballeurs ivoiriens de la fin des années 1990 est exceptionnelle à tous les points de vue. Mais les ivoiriens n’ont rien gagné, et le vieillissement des vedettes actuelles se manifestant largement, on peut parier qu’ils ne gagneront rien à terme, quel que soit le cataplasme qu’on pourrait poser sur la plaie. Plus de trois entraîneurs ont dirigé cette équipe au cours des cinq dernières années. Il y a maldonne quelque part, vous ne pensez pas ?
Les sélectionneurs de trois grandes équipes nationales africaines, le Black Star, les Éléphants et les Lions Indomptables, sont à leur poste depuis moins de deux ans et n’y resteront pas en moyenne plus de deux ans. Je vous demande un peu : quelle sélection nationale a gagné quoi que ce soit d’important ces dix dernières années dans ces conditions-là, accident vertueux compris ? Existe-t-il une personne sensée, en dehors du cercle de dirigeants débiles qui se renouvellent entre la lagune Ébrié et le golfe de Guinée, qui penserait le moindrement qu’un sélectionneur pourrait, en quelques mois, domestiquer des egos surdimensionnés, amener des joueurs vieillissants à jouer ensemble avec des plus jeunes, prospecter, faire pièce aux appétits dictatoriaux des dirigeants locaux, choisir les meilleurs joueurs du moment et, surtout, inculquer une culture du jeu susceptible de conduire à des résultats à la hauteur des ambitions légitimes ?
Recruter un sélectionneur à quelques mois d’une grande compétition mondiale n’a évidemment aucun sens et est totalement contraire à toutes les pratiques modèles dont on veut s’inspirer. La seule chose qui explique, à mon avis, la palinodie africaine à cet égard, est le sentiment de l’échec qui plombe le jugement de nos dirigeants. Et le sentiment, la peur de l’échec, est pire que l’échec même. Parce qu’il pousse à prendre des décisions au mieux risibles qui mènent inéluctablement à l’échec avec la fatalité des cyclones.
Les Ivoiriens ont recruté un grand coach et un thaumaturge? Grand bien leur fasse ! Ils ont en face le Brésil et la France, pour ne citer que ces deux pays. Dunga est là depuis 2006. Il dirige une sélection qui est à part, j’en conviens. Domenech est là depuis 2004. La France de Domenech a-t-elle, d’après vous, plus de talent que les Ivoiriens ? Non, n’est-ce pas ? Mais si vous deviez parier entre les deux, qui choisiriez-vous pour aller plus loin en Afrique du Sud ? Ne répondez pas.