Conakry, j’espère que vous avez aimé, Monsieur. Mais une fois le but principal de votre visite atteint, j’espère que vous êtes évadé du côté de Kindia, en Basse-Guinée, voisine du Fouta Djallon, une province verdoyante et humide, rugueuse et accueillante, votre Sanaga-Maritime natale en quelque sorte. À l’Hôtel Masabi, vous avez sans doute plongé dans une atmosphère propice à la réflexion et porteuse de farniente et, j’ai bon espoir que, dans ces conditions, vous allez enfin m’éclairer sur l’interminable histoire qui vous a conduit en Guinée.
Je résume pour mes lecteurs. Quatre acteurs principaux, soit la Fécafoot, la FIFA, M. Abdouraman et vous. Mettons aussi, quoique légèrement en retrait, l’État du Cameroun et tous les gogos du football national. Pomme de discorde : l’élection de M. Tombi à la tête de la Fécafoot. Deux éléments de poids : l’ordonnance d’un organe public avec des pouvoirs quasi-judiciaires invalidant l’élection ayant mené à la victoire de M. Tombi, et ensuite la décision d’un ministre de la République sanctionnant le non-respect avéré de cette ordonnance.
À partir d’ici, corrigez-moi si je me trompe. Certaines vérités qui s’imposent à moi depuis que la FIFA a reconnu la limite de son action et de son influence dans l’affaire qu’elle a été invitée à trancher m’inquiètent. Je vous connais depuis de longues années, Monsieur, et je ne me rappelle pas vous avoir vu vous contredire ou dire des sottises. J’ai toujours apprécié la cohérence de vos idées et votre intransigeance intellectuelle, insupportable chez nous mais qui aurait été considérée comme une vertu ailleurs. Vous n’êtes pas un rigolo. M. Abdouraman, que j’ai également le plaisir de connaître, m’a toujours, à chacune de nos rencontres, marqué par la maîtrise de la politique du football et la justesse de ses analyses. M. Abdouraman n’est pas un rigolo non plus.
Déjà, avant et après l’ukase du ministre des Sports, vous avez fait donner la FIFA, le TAS et toutes les institutions judiciaires de la Helvétie éternelle. La joute juridique et judiciaire que vous avez déclenchée nous a charmés, moi en premier. Je n’ai jamais cherché à comprendre ce que vous recherchiez réellement, parce que je pensais que vous saviez ce que vous vouliez et surtout ce que vous pouviez obtenir. Je n’en suis pas si sûr maintenant et, en toute honnêteté, je tombe de haut.
Vous espériez dans le fond qu’une puissance étrangère, qu’une juridiction ou une institution étrangère force l’État du Cameroun à appliquer une décision qu’il avait décidé de ne pas appliquer. Venant des hommes de votre qualité et de votre expérience, je trouve cela troublant. En effet, de quelle façon une décision prise par une juridiction étrangère peut-elle s’appliquer au Cameroun si l’État du Cameroun ne le souhaite pas ? La FIFA est-elle en mesure, à la faveur de sa position monopolistique, de dicter sa loi au Cameroun ? Vous pensiez vraiment que la FIFA foncerait, bille en tête, dans la brèche ouverte par l’ordonnance de la CCA pour faire litière de la décision du ministre des Sports et renvoyer M. Tombi ?
Cette FIFA que vous connaissez si bien est avant tout une organisation politique. C’est-à-dire une organisation attentive aux petits arrangements et qui tient avant tout à instaurer et à maintenir l’ordre. Peu importe qu’on torde quelques bras, qu’on écrase quelques orteils ou qu’on distribue quelques horions à gauche ou à droite, l’ordre reste le mot d’ordre de la FIFA et, il faut le reconnaître, de l’État du Cameroun. Par ailleurs, le football est une activité amateur au Cameroun largement financée et encadrée par l’État, et cela, la FIFA le sait et le reconnaît. Le degré de nuisance qu’aurait eu son intervention en votre faveur contre le souhait de l’État du Cameroun est nettement un risque que la FIFA ne pouvait pas prendre. Vous avez engagé une bataille que vous n’aviez aucune chance de gagner.
Sur la foi de l’incroyable constatation que vous avez faite ces derniers temps, je pense que vous vous en doutiez un peu. Vous avez publiquement reconnu que, depuis l’élection et en dépit de votre action, rien n’a changé, rien n’est bloqué, et le football continue de se jouer selon le calendrier et les règles de la Fécafoot présidée par M. Tombi. Pour mémoire, cette constatation a été faite par ma belle-mère il y a bien plus longtemps. Alors quoi, vous avez adopté la mauvaise stratégie ou vous avez tout simplement échoué parce que vous ne saviez pas vraiment ce à quoi vous vouliez aboutir ?
Avec la FIFA, vous avez enfourché le mauvais cheval. Et elle vous l’a dit. Et je continue de croire, quoique pensent certains, que vous saviez que vous faisiez fausse route. Avec le recul, j’ai la conviction que les protagonistes de cette longue procédure avaient autant le désir de se forger une posture de Zorro que de faire triompher la légalité. Alors quoi, maintenant ?
La leçon à tirer de cette débauche inutile d’énergie et de ressources est claire : on ne peut pas continuellement exciper de la suspicion que suscitent nos propres mécanismes de redressement pour expliquer le recours aux institutions étrangères. La Fécafoot et l’État du Cameroun sont des justiciables, comme nous le sommes tous ici à Sipandang.
Aucun tribunal camerounais n’a été sollicité. Pourquoi ? Je n’ai jamais vu écrit nulle part que le football au Cameroun est au-dessus des lois camerounaises. La Cour suprême du Cameroun, j’en suis convaincu, est davantage en mesure de faire plier l’État du Cameroun que la FIFA et toutes les institutions de droit suisse.
Léon Gwod