Je ne savais pas que le 13 octobre dernier, sur le plateau de mon émission La Nuit du Sport sur Stv2, lorsque avec ta verve habituelle tu analysais le match raté des Lions Indomptables contre la République Démocratique du Congo, tu disais adieu aux médias et au public. Je ne savais pas quand tu as lancé comme une boutade sur ce plateau « Que le Chef de l’Etat me donne les Lions Indomptables et je vais les qualifier pour la Can », je ne savais pas que tu le disais, en sachant que cela n’arriverait jamais.
J’aurais dû dire à la centaine de personnes qui avait envoyé des texto pour te soutenir, te féliciter et dire à haute voix que tu méritais d’être sur le banc de touche des Lions Indomptables, j’aurais dû leur demander de ranger leurs mots et de préparer leurs phrases, pour les oraisons funèbres.
Mais comment aurais-je pu le dire, quand tu as refusé de me mettre dans la confidence de ta mort, quand tu as manqué cette fois de jouer au prophète, toi qui prédisais tes victoires sur tes adversaires, toi qui annonçais ce que tu devais faire sur un terrain de football, avant que le match ne se joue. Tu as réussi, à démontrer qu’au Cameroun, la force des victoires réside plus sur le banc de touche que sur le rectangle vert. Je sais que tu ne m’as pas caché la confidence de ta mort, mais c’est la mort qui a refusé de te faire la confidence de son arrivée. Car tu me disais tout, des choses les plus invraisemblables que tu rendais réelles, des jalousies les plus coriaces qui te rendaient plus forts.
Souviens-toi, un jour au stade de la Réunification de Bepanda, tu accompagnais l’équipe de As Moungo pour les barrages qualificatifs pour les Interpoules dans le Littoral. Souviens-toi que pour les demi-finales aller, Astres de Douala venait de battre ton équipe sur le score de deux buts à zéro. Souviens toi, qu’à mon micro, tu avais déclaré péremptoire et avec beaucoup de condescendance et d’assurance « Je vais leur donner une leçon de football au match retour ». Le jour venu, tu leur administras une correction sans appel de trois buts à zéro. Tu avais été porté en triomphe par le public, la LEGENDE CAPELLO était née. C’est ce jour là, que tu as convaincu beaucoup de sceptiques, c’est ce jour là que tu as fait taire tes détracteurs. Pourtant, tu avais gagné la Coupe du Cameroun avec Mount Cameroun de Buea, après l’avoir annoncé à Calvin Foinding le Président en début de saison. Pourtant, à trente ans à peine, tu as fait accéder Aigle de Nkongsamba en première division. Et si je boucle cette énumération des « miracles » sans dire que tu as fais accéder Tiko United en Première division, après l’avoir annoncé des semaines avant le début du tournoi Interpoules, sans dire qu’après avoir été battu par le Congo à Yaoundé pour la qualification à la Coupe du Monde juniors, tu as annoncé que tu irais te qualifier au Congo et tu l’as fait, sans dire que tu es arrivé à Renascimiento en Guinée Equatoriale, une équipe qui n’avait jamais gouté aux délices du Big Four équato guinéen, et que tu as réussi à décrocher le titre de champion, avec à la clé une victoire historique sur Africa Sport d’Abidjan en Champions League à Abidjan. Si je ne le dis pas, j’aurais privé la postérité, d’une caricature de l’audace, de la foi et de la chance, un triptyque qui t’a accompagné pendant ton bref séjour sur terre.
Souviens toi qu’à la finale de la Coupe du Cameroun que tu as gagné avec Mount Cameroun, alors que tu es mené par Sable de Batié sur le score d’un but à zéro, un journaliste de la Crtv, passant devant toi, t’avais lancé des mots, à la lisière de l’ironie et de la menace « Avec ta bouche là… si tu ne gagnes pas aujourd’hui, tu vas voir ». Tu avais finis par gagner et tu avais démontré que tes mots, s’accompagnaient toujours des actes. Et alors que tu interpellais tes joueurs « Oh montez là…reculez… », Un autre journaliste t’a lancé « Parle ton langage habituel, ils vont mieux te comprendre ». Oui, tu avais un discours neuf, percutant et efficace.
Là où tout le monde disait « défendez plus bas ! », toi tu disais « recul tactique du barycentre ». Là où les autres parlaient avec un langage ordinaire, banal et parfois désespérant, tu parlais des attaques fourmies et araignées, etc… Parfois tes mots n’avaient pas de sens à notre entendement, mais tu avais à cœur de créer un champ sémantique qui rehaussait l’image des entraineurs et tranchait avec des discours fades, fatalistes et insensés : « Vous savez, j’ai perdu aujourd’hui parce les arbitres n’étaient pas bons…La pelouse était un adversaire pour nous, avec le soleil…et puis il ya des jours sans ». Ce type de discours tu as obligé tes collègues à l’envoyer à la poubelle.
Tu as été le premier entraineur camerounais à trouver à chaque fois des explications techniques pour tes victoires ou tes défaites. Voilà pourquoi les médias te cherchaient partout, voilà pourquoi tu suscitais le courroux de tes collègues. Très peu t’ont accepté, justement parce que tu étais le contre exemple de la supercherie qu’on a fait passer dans les arcanes de gestion technique des clubs et des équipes nationales. Là où on soutenait que seules les écoles conventionnelles produisaient des techniciens de génie, tu as démontré qu’on peut être passionné autodidacte et atteindre les sommets. Tu as donc été le premier entraîneur à n’être pas passé par l’Injs, à n’avoir pas été une ancienne gloire du football ou à n’avoir pas brandi des diplômes obtenus en Europe. Tu as été le premier à n’avoir rien eu de tout cela, à qui on a confié une équipe nationale de football. Finale de la Can Juniors, qualification pour la Coupe du monde. Tu as fais sur le banc de touche de cette équipe nationale, ce que beaucoup, avec une qualification officielle supérieure à la tienne, n’ont pas fait.
C’est possible que ce soit un hasard. Mais la chance ne survient qu’aux esprits préparés. Mais peut on parler de Chance, quand on a amené Aigle de Nkongsamba et Tiko United en en 1ère division, quand on a fait d’une anonyme équipe comme Renascimiento une référence en Guinée Equatoriale, quand on a gagné la Coupe du Cameroun avec Mount Cameroon, quand on a dressé Tiko United au point qu’il vole la vedette à Cotonsport en Championnat, quand on est allé transformer Panthère de Banganté…Si cela s’appelle chance, c’est que c’était toi l’ange de la chance sur terre.
Un jour alors que tu venais de battre Astres de Douala aux barrages pour les Interpoules, et alors que je te posais la question de savoir comment tu as fais pour renverser une situation presque compromise, tu as déclaré à mon micro : « J’ai utilisé un quatre- quatre -deux losangien, avec les principes d’attaque d’Angel Marcos ». Tu étais un artiste et tu avais les mots pour faire ton spectacle.
Je vais trahir une confidence que tu m’avais faite. Ton rêve le plus cher, c’était d’entrainer l’Union de Douala. Tu me disais que le jour où tu prendrais les Nassaras, tes entrainements auraient lieu au stade de la Réunification et tu soutenais qu’à chaque séance tu aurais pas moins de dix mille spectateurs. Je sais que c’est le seul rêve que tu n’as pas pu réaliser. Tu as pourtant fait des choses supérieures à ce rêve là, mais c’était un défi, un ultime défi pour te convaincre que tu étais un faiseur de miracles. Beaucoup ne t’ont pas cru, très peu comme moi t’ont accompagné, mais personne n’effacera les lignes de ton palmarès.
Tu vois, j’ai écris ce texte, un long texte, pour te dire adieu, et je n’ai pas eu le courage de prononcer une seule fois ton nom. Parce que je croyais qu’en écrivant, on me dirait avant la fin de mon texte, que tu viens de signer un nouveau contrat et que la nouvelle de ta mort était un canular. Je n’ai pas pu écrire ton nom parce que chaque fois que je le faisais c’était pour raconter un exploit.
Pourtant il faut bien que j’écrive ALAIN WABO EST MORT. Tu aurais dû me passer un coup de fil pour me dire quelle tactique on devait mettre en place pour gagner face à la mort. Pourtant à un contre un devant la mort, tu aurais pu marquer ton but et gagner ton match. Mais elle a tiré au but alors que tu étais distrait, elle t’a driblé alors que le ballon avait dépassé la ligne de touche. La mort a marqué son but alors que l’arbitre avait sifflé la fin du match. Mais l’ironie, c’est qu’il est revenu valider le but.
Adieu mon frère, adieu Capello, adieu l’entraîneur scientifique, ADIEU ALAIN WABO