1972, c’était la fin de l’adolescence et le début de l’université. C’était aussi une année terrible que nous avions passée, mes confrères et moi au centre de l’Angleterre, à raser les murs de l’université face aux quolibets et aux sarcasmes d’autres étudiants africains. Nous venions de perdre une CAN organisée par nous sur notre sol. 2019, ce sera déjà l’entrée des petits-enfants au collège, le farniente annuel à Hammamet, le chauffeur et le cuisinier. Gagne ou perd, rien ne pourra émouvoir outre mesure les gens de ma génération.
Que les plus jeunes aient accueilli la nouvelle de l’octroi d’une CAN au Cameroun avec une certaine agitation est tout à fait justifié. En toute honnêteté, notre pays aurait dû en organiser quelques-unes depuis 1972. Il faut néanmoins remarquer à cet égard que les youyous et autres vuvuzelas n’ont pas été aussi tonitruants qu’on l’eût cru : hormis quelques gogos, personne n’a vraiment bombé le torse au pays de façon indûment ostentatoire. Je veux croire que ce relatif quant-à-soi est attribuable à une prise de conscience de la situation économique de notre pays et de la valeur négligeable du foot dans notre avenir collectif.
Mais ne gâchons pas la fête et laissons les béats à leur tranquillisant favori. Il y a quand même une chose ou deux qu’il faut dire maintenant à propos de cette CAN en terre camerounaise. La première est que l’organisation de la CAN en 1972 avait accaparé une part énorme de la fortune publique. Cela ne devrait plus se produire dans la situation de grande précarité que nous connaissons au pays. Le football est une activité privée, qui ne concourt en rien à l’élévation du niveau de vie du plus grand nombre de Camerounais. Il doit donc nécessairement être financé en grande partie par des ressources privées. La Fédération camerounaise de football a quatre ans pour trouver des sponsors, instaurer des partenariats avec le privé, emprunter sur tous les marchés. Que ceux qui aiment le foot, qui profitent du foot et qui investissent dans le foot pour s’enrichir, paient donc ! L’État apportera sa part.
La deuxième chose à dire est liée à la risible idée que l’organisation de la CAN est de nature à doter enfin le Cameroun d’infrastructures sportives de premier plan. En faisant de grands sacrifices, le Cameroun est certes en mesure de construire des stades modernes ; ce qui est ridicule, c’est de croire que nous pouvons durablement entretenir, maintenir et prendre soin d’installations sportives fragiles et onéreuses. Aucun de mes lecteurs le moindrement sain ne peut soutenir que les nouveaux stades qui pourraient voir le jour d’ici 2019 auraient un sort différent, cinq ou dix ans après, de celui des stades de Yaoundé et de Douala. À quoi bon alors distraire des ressources publiques de la construction d’hôpitaux, de routes et de logements sociaux vers la réalisation d’installations de divertissement vouées à l’abandon ?
J’espère beaucoup que l’État du Cameroun va profiter de cette CAN pour enfin s’installer dans son rôle d’arbitre et de défenseur de l’intérêt public sur le front du football. Le foot n’est pas une activité d’État. C’est l’activité de la Fédération camerounaise de football. La route SonMbengué – Ngambé, c’est le problème de l’État.
Léon Gwod