Des Samuel Eto’o, j’en ai connu quelques-uns, à l’Ecole principale New-Bell Basaa et à l’Ecole Saint-Jean-Bosco. Une fois dans l’enceinte de l’école, loin du quartier, c’était tous de vrais petits agneaux. On les bousculait un petit peu, parfois on cognait en passant. Jamais, ils ne disaient mot ; jamais ils ne commençaient la bagarre. Souvent même, pour échapper à quelques petits gnons à peine appuyés, ils préféraient rester dans les salles de classe, tout près du prêtre ou de l’instituteur, bien à l’abri.
Mais il fallait les voir, une fois revenus au quartier, près de leur maman, à côté de la case familiale, dans leur cadre familier. De petites terreurs. Baveux, provocateurs, bagarreurs. Surtout que le grand frère n’était pas loin, et que le père n’aurait pas toléré qu’on portât la main sur un de ces galopins.
La seule offensive que Samuel Fils, notre gloire nationale, ait jamais lancée hors d’un terrain de foot, en face d’une presse teigneuse et résolument remontée contre lui, de la Galicie à la Catalogne en passant par l’Estrémadure, c’est de déclarer qu’il ne lisait jamais les journaux. C’est le quant-à-soi classique dans lequel campent invariablement tous les mirliflores du ballon, tous ces demi-dieux imbus d’une gloire au mieux éphémère et éperonnés par l’adoration de putes, de courtisans et de foules désœuvrées. Ils ne lisent jamais les journaux, la belle affaire ! Ils lisent donc Mamadou et Bineta ?
Barcelone, c’est quand même autre chose que Yaoundé. On ne commence pas une bagarre en terrain inconnu. On ne sait jamais. Mais Yaoundé, c’est pratiquement New-Bell Babylone. On sent la maison, la maman n’est pas loin, les grands frères veillent, on peut faire son faraud sans grand dommage.
Mon infortuné confrère ne sait sans doute pas que le coup de tête qu’il a reçu est une arme homologuée dans le coin de Douala que j’ai l’honneur et le privilège de partager avec Fils. Cela s’appelle une lâcheté. L’art de la lâcheté est inné chez nous, cher confrère, vous ne pouviez pas le savoir. Pardonnez-moi donc si, au lieu de compatir à votre malheur, je m’empresse de saluer bien bas ce fait d’arme qui confirme ce que tout le monde sait à New-Bell : Samuel Eto’o n’a jamais oublié ses origines.
Moi non plus d’ailleurs. Je suis donc tranquille ; on ne peut pas m’avoir comme ça : je maîtrise la lâcheté. De plus, il y a longtemps que j’ai gagné la liberté de ne pas me mêler à des têtes brûlées qui ne savent même pas tenir une fourchette.