Et si on n’était pas là l’année prochaine ? Poser ce genre de question, à Yaoundé, à un journaliste sportif plutôt sanguin lorsqu’il s’agit des Lions, c’est évidemment confirmer sa place au sein de la confrérie des Cassandre qui grossit au fil des jours. Il y a nettement plus d’oiseaux de mauvais augure au Cameroun, en ce mois de juin, que des aruspices dont le discours laisserait présager un quelconque embellissement.
Il avait été question, ce 11 juin au Central Hôtel de Yaoundé, en guise d’apéritif, de refaire tout l’appareil du football du pays. Que je vous dise une chose tout de suite : il ne faut pas croire tout ce qu’on dit des journalistes sportifs du pays. Ils ne sont ni des vendus, ni des idiots, ni des paresseux. Au contraire, ils savent des choses, ils ont des réseaux d’informateurs dans tous les secteurs, ils travaillent dur, dans des conditions épouvantables sur le plan matériel et financier. Ils ne disent pas toujours tout ce qu’ils savent parce qu’il faut bien qu’ils continuent de gagner leur bœuf.
Heureuse surprise, l’analyse sans complaisance qu’ils font de la situation du foot au pays, les voies de recours qu’ils proposent, les personnes idoines qu’ils citent, tout cela procède d’une connaissance solide et des enjeux et de la problématique camerounaise et rejoint une vision des choses que je crois saine et hautement recommandable.
Prenons par exemple la question d’un entraîneur camerounais pour les Lions. Question vite tranchée. Jules Nyongha, il n’y a pas match. Vous avez bien lu : Nyongha, Jules. Le même col bleu de l’encadrement, le factotum, souffre-douleur, mal-aimé et pas payé. Parce qu’il a gagné ce poste par son travail et l’expérience acquise, mais surtout parce qu’il est le seul qui assumerait cette charge à plein temps avec dignité. Rien à voir avec, dans la ridicule ménagerie de quatre rosses poussives qu’aucun maquignon au pays ne croit capable d’amener l’attelage à bon port, un peigne-cul qui s’affiche sans retenue aucune avec des catins chez Christel et dans les bars du côté de Titi Garage à Yaoundé ; un coordonnateur sans reproche mais sans grande épaisseur non plus et qui n’a jamais dit un mot de sa vie ; un entraîneur avec un certain crédit mais totalement transparent ; un ancien dirigeant de centre de formation dont on redoute quelques appétits boutiquiers.
Mais passons. Les joueurs. En avons-nous suffisamment capables de jouer au haut niveau, à la fois les cadres actuels des Lions et ceux qui animent le championnat national ? On m’a demandé : « Tu penses qu’on devrait faire chauffer le banc à Assou-Ekotto ? » Au sein des Lions, le problème est là : ceux qui jouent régulièrement ne méritent pas toujours de jouer régulièrement. Et contrairement à ce qu’on croit depuis longtemps, ce n’est pas le 9 8 4 qui décide, mais plutôt la langue espagnole. ¡Caramba ! Sangre de Dios !
Le championnat national, c’est la Fécafoot qui a charge de son épanouissement, de son déroulement et du bien-être des joueurs. Le Cameroun ne devrait pas manquer de joueurs issus de clubs locaux capables de s’insérer à terme au sein des Lions. C’est un point de vue largement partagé et difficile à réfuter en bloc. Il suffirait, laisse-t-on entendre, d’un minimum de soin de la part de la Fécafoot pour que cela se produise. Mais les choses se présentent plutôt mal, et sur la foi du résultat de la dernière élection, la Fécafoot, plus forte et plus morveuse, avec un Conseil exécutif de 33 membres payés au mépris des textes, donne de plus en plus l’impression de penser plus à sa survie qu’à la réalisation de sa mission première.
Le football au pays n’est pas uniquement l’affaire des entraîneurs, de la Fécafoot, du MINSEP et des joueurs actifs. Il serait oiseux ici de revenir sur tous les petits points abordés, parce que l’effet négatif que comporte la guerre à fleuret moucheté entre le Fécafoot et le MINSEP, la carence d’infrastructures, le manque de volonté civique, la course au gombo, tout cela a été relevé et nous a été asséné ad nauseam.
Passons dont à la chienlit qui s’est installée depuis quelque temps chez nous, dont l’avatar le plus douloureux, s’il n’était pas risible, est le fameux collège d’entraîneurs. Cette idée, nous la devons principalement à M. Roger Milla. Mon petit comité lèche les bottes à M. Milla. Personnellement, j’ai toujours léché ses bottes. Tout jeune, sur le même terrain vague à Douala, au lieu de jouer, je l’admirais. M. Milla a été, il est et il sera. Ce n’est donc pas par moi que le scandale arriverait.
Que M. Milla retire des rentes de son statut d’illustrissime footballeur, pourquoi pas, et, de fait, peu m’en chaut. Mais ce poète des surfaces a tendance, depuis des années, à poéter fortement plus haut que son luth. Passez-moi le mot, joli au demeurant, je crois que je l’ai déjà dit.
Le statut dont jouit M. Milla a l’avantage, corrélatif de son défaut, de le placer, veut veut pas, parmi les personnes dont on attend des solutions. L’aspect vertueux de cela est qu’il parle de quelque chose qu’il devrait connaître. L’autre aspect, pénalisant à mort, est le risque que ses paroles soient prises comme paroles d’évangile. Mais plus grave encore, que tout le monde se taise et n’ose ni mettre en doute ce qu’il dit ni carrément l’envoyer paître de temps en temps.
Nous en sommes là. M. Milla n’a pas souvent été du bon côté de l’histoire, passez-moi encore le mot. C’est un fait. Alors, qu’on lui construise des statues dans toutes les villes du Cameroun ; qu’on le mette au programme des écoles maternelles ; qu’on baptise des stades et des crèches à son nom. Qu’on l’écoute et qu’on l’invite, mais de grâce, qu’on évite d’appliquer sur nos plaies des cataplasmes ridicules qui ne font qu’aggraver le mal.