Achille Emana Edzimbi est un natif de Yaoundé, en plein pays béti. Que mon lecteur me permette donc de lui expliquer que le mot « emana » évoque « le bout du chemin », « la fin. »
Le germain Pfister se serait-il fait traduire le nom de ce garçon pour décider, contre la « aura popularis », de mettre unilatéralement fin à sa présence dans notre équipe nationale ? En tout cas, il a deux fois de suite omis de l’appeler au sein des Lions Indomptables, alors que ce joueur est devenu en quelques mois le maître à jouer du Bétis de Séville. L’observateur n’a vu que ce vide intempestif dans les deux listes de sélectionnés, et la polémique est partie comme un feu de brousse. Le fond de l’affaire, pour le non initié qui la voit de loin, paraît d’une opacité pour le moins bizarre.
Nonobstant, j’ai imaginé cette lettre que j’envoie au sélectionneur national via la Toile, dans le fol espoir qu’on y verra un peu plus clair dans ce black micmac.
Cher monsieur Otto Pfister,
N’étant pas Zola, je n’irai pas jusqu’à vous accuser de mauvaises intentions vis-à-vis d’Achille Emana. Seulement, je voudrais que vous me précisiez la raison pour laquelle vous avez décidé de vous passer des services de ce joueur qui, (je défie quiconque de m’en dédire), ferait le bonheur de n’importe quelle sélection nationale aujourd’hui.
D’abord je récuse votre ligne de défense qui a consisté à sortir (je fais une paraphrase) : « chacun a son joueur favori, et on ne peut pas satisfaire tout le monde. » A d’autres ! Même si l’esprit du foot a déserté nos terrains vagues et nos conversations (L. Ndogkoti l’a douloureusement relevé sur cet espace, il y a quelques jours) ; même si ceux de nos compatriotes avec qui vous avez le plus souvent à faire ne s’en préoccupent guère, sachez que nous autres Camerounais, nous sommes enfants du ballon rond ; nous savons lire et comprendre le football.
Comprenez-moi bien : la question n’est pas celle d’une non sélection anodine, car ce joueur n’est pas anodin, et j’ai comme témoins les millions de spectateurs et téléspectateurs qui assistent à ses exploits chaque semaine au sein de son club. Le problème est celui d’une dé-sélection voulue, planifiée et mise en œuvre de façon résolue et répétée. Ce genre de sanction, d’ordinaire, s’applique à des joueurs ayant été coupables d’indiscipline caractérisée et grave. Dites-nous donc quel crime a commis Emana pour se voir ainsi refuser l’honneur de défendre les couleurs de son pays.
Certains l’accusent de brider son talent en sélection. La belle affaire ! Outre que ce reproche pourrait être adressé à bien d’autres joueurs qui sont pourtant devenus des cadres au sein des Lions Indomptables, je tiens à rappeler que la responsabilité d’élaborer la stratégie du jeu revient au sélectionneur, qui doit prendre en compte le profil de chaque joueur. Or, d’une : vous êtes le sélectionneur en question ; de deux : Achille Emana joue actuellement à un niveau tel que la question n’est plus de savoir comment il peut s’insérer dans un hypothétique schéma tactique, mais comment la stratégie de jeu doit tenir compte de sa présence en milieu de terrain (la défense étant construite autour de R. Song et l’attaque en fonction de S. Eto’o).
D’autres rumeurs évoquent des problèmes de personne à personne. La seule réponse que l’on peut opposer à de pareilles arguties, c’est un énorme point d’exclamation ! Quelle organisation humaine est exempte de bisbilles et autres fâcheries ? Depuis quand s’aimer d’amour tendre est une condition indispensable pour pouvoir jouer ensemble au football ? A quoi cela nous sert-il de recruter tous nos joueurs et tous nos entraîneurs à l’étranger, dans le milieu professionnel, s’ils doivent se crêper la crinière comme les premiers amateurs venus ? Non, cette hypothèse n’est définitivement pas envisageable, sous peine d’envisager une disqualification pour incompétence crasse du groupe Lions Indomptable tout entier, en commençant par vous.
Il y a fort peu de chance pour qu’on aille à nouveau vous chercher là-dessus en interview ou en conférence de presse. Et si cela se produisait, j’augure que vous répondrez par la désinvolte pirouette habituelle. Reste que n’importe quel observateur voit bien qu’il se passe quelque chose, et nous voulons savoir le pourquoi du comment de cette chose.
D’où une foule d’interrogations : Que reproche-t-on réellement à Achille Emana ? Combien de buts devra-t-il marquer, combien de coups francs devra-t-il transformer, combien de passes décisives devra-t-il distiller pour montrer qu’il est digne d’assumer le statut de meneur du jeu des Lions Indomptables ? Quelle est la part des considérations sportives, et quelle est la part des motivations extra sportives au véritable boycott qui le frappe ? etc.
Vous seul avez la réponse, et peut-être certains de vos joueurs aussi. Vous êtes néanmoins le patron de l’équipe, et c’est à vous que nous, contribuables et supporters, adressons ces questions. A défaut de nous répondre, vous en parlerez avec vos joueurs et avec tous ceux qui sont au parfum. Vous règlerez cette histoire abracadabrante entre vous, et nous verrons enfin disparaître cette aberration dans la composition de notre équipe nationale.
Le débat fait rage sur la Toile et dans les chaumières. Vous et votre employeur feriez bien de vous en préoccuper. Rappelez-vous du sens du mot « emana. »