Il m’est arrivé quelque chose sur le chemin du football, entre Douala et Odza. Mes patrons à Camfoot n’ont rien dit ; mes lecteurs, je le sais, s’interrogent beaucoup de mon silence relatif. Je n’ai pas joué les Arlésienne par simple coquetterie. La tentation n’a jamais été aussi grande d’abandonner ou de me faire harakiri. Pourtant, comme je vous l’ai dit, je me suis bien préparé à faire mon travail. J’ai rencontré le chef de la communication à la Fécafoot ; j’ai rendu visite à son homologue du MINSEP, dont l’urbanité m’a déconcerté. J’ai pris rendez-vous, mais je n’ai pas respecté mon engagement.
Entre-temps, j’ai rencontré Marie. Et j’aime Marie. Ce n’est pas ce que vous croyez. Les chemins de l’amour et du foot ne sont pas si éloignés que vous pourriez penser. C’était Chez Passy, carrefour Kayo Elie, à Douala. J’ai dit à Marie, comme ça, peut-être juste pour me donner de l’importance : « Tiens, j’ai rendez-vous avec Dr Abéga demain.» Sans lever la tête de son plat, elle a lancé, négligemment : « C’est un gynéco, ton docteur ? »
J’aurais pu avoir une attaque ; à mon âge, vous pensez bien, ce genre d’émotion n’est pas indiqué. Mais c’est comme ça que l’amour est né. Vous l’aimeriez aussi, Marie. J’ai d’abord pensé qu’elle venait de Bazou, mais elle vient plutôt de Tonga, juste à côté, quoi. Les filles du Ndé, contrairement aux émouvantes et somptueuses callipyges de la Menoua et des départements voisins, traînent un bassin flottant qui soutient un port de tragédienne grecque dont je suis particulièrement toqué. Marie a les pommettes hautes, le regard foncé et mélancolique et les plus belles dents du monde. Des doigts de pianiste, le buste nerveux, une moue mutine en permanence aux lèvres, la douceur de la voix… ah ! les oaristys !
Mais je vous demande un peu : Dr Abéga, gynécologue ? On entend cela, au Cameroun, et on se demande si c’est vraiment raisonnable de tomber amoureux de l’auteur d’une telle hérésie ? Chiche, que oui !
Je regarde Marie, une jeune femme avec quatre grands frères, née à Douala, moderne et active, qui n’a jamais entendu parler de Abéga ni de Mbappé Leppé sans doute, et je ne vois que l’amour. Je ne peux que me laisser aveugler par l’amour, car autrement je perdrais la foi, le feu sacré, l’amour du foot dans ce pays qui, à en croire un très grand nombre, est une grande nation de foot.
Alors j’ai pris le parti de l’amour pour le moment. J’aime Marie. Le foot, MM Abdouraman et Fouda, Iya et Edjoa, on verra bien, mais ce sera pour plus tard. Je reviendrai ici, bien sûr, il faut bien que je gagne mon bœuf, mais je me suis juré d’aimer sans parler ni de foot ni de ballon ni de SEF. Imaginez qu’elle me demande, avec l’amour dont elle me couve ces derniers jours, si d’aventure je mentionne Milla : « Milla, mon cœur, c’est une marque de laxatif ? ». Cela m’achèverait à coup sûr.