Ce 26 juin 2003, lorsque je pars de Saint Dénis, non loin du stade de France, dans un exigu « Formule 1 » où mon employeur avait bien voulu me loger en tant que « Envoyé Spécial », j’étais loin d’imaginer que deux évènements majeurs allaient se produire au Stade Gerland. A la Gare du Nord où la colonie des camerounais attendait le TGV, on discutait de tout, sauf d’un deuil qui nous attendait, un deuil qui devait s’encastrer dans une qualification historique pour la finale de la Coupe des Confédérations.
On était surtout loin d’imaginer que la génération dorée des Mboma, Eto’o, Song, Njitap, Womè, etc… était au crépuscule de ses gloires, au soir de ses performances retentissantes à ce niveau-là. En fait, on faisait le deuil de Marc Vivien Foé et le deuil du football camerounais tout court. Personne n’avait voulu faire des parallèles, personne n’avait cherché à décrypter le message, personne n’avait compris que quand le destin choisi l’arbre le plus robuste au cœur de la forêt pour le livrer à la furie des vents et des tempêtes, c’est un signal fort vers les arbustes et l’attrait qu’exercera par la suite cette forêt. Pourtant lorsque nous partions de Saint Dénis, on avait imaginé tout, sauf cette séparation brutale, tragique et quasi inhumaine !
A l’entrée de Gerland, un premier signe échappe à ma cécité festive d’une demi-finale de Coupe des Confédération. Abdouraman, alors Chef Cellule Communication de la Fécafoot, m’accoste avec une violence inouïe, tant par des mots que par des gestes, me reprochant mon approche critique contre la gestion de Iya Mohammed. Les mots sont durs, et n’échappe à ce pugilat verbal que grâce à des Camerounais de Lyon, qui passant par-là, ne comprennent pas l’acharnement dont je fais l’objet et décident d’éloigner Abdouraman, par des mots tout aussi durs. Premier couac. Dans les tribunes de Gerland, le match Cameroun contre Colombie avait à peine commencé, que je me livre à mon exercice favori, entamé depuis le début de la compétition, le reportage du match en direct sur Radio Equinoxe, sans avoir les droits pour cela. Un agent de Sport Five, qui fait le gendarme dans les tribunes, me repère et menace de retirer mon accréditation et de confisquer mon téléphone. Je ne m’en sors que par les menaces verbales des autres confrères qui lui disent que je relais le match à mon épouse au Cameroun. Pas très convaincu, il repart en grommelant. J’ai échappé belle. Deuxième couac.
Désormais dans l’œil du cyclone, je me résous à regarder le match et à contempler les gradins. Les drapeaux vert rouge et jaune flottent partout. J’apprendrai plus tard qu’en plus de la forte colonie camerounaise à Lyon, Marie louise Foé s’était elle-même investie dans la distribution gratuite des tickets à l’entrée du stade, pour s’assurer que tous les camerounais vivraient le spectacle sans « sa ville », de Lyon. J’apprendrai plus tard qu’elle a trébuché à l’entrée du stade…gravement, mais sans souci. Troisième couac.
65ème minute, Foé fait signe à Schäfer, il veut sortir ! Mais il y a un coup franc, Marco était « l’homme de base » des coups de pieds arrêtés, le coach lui demande d’attendre. Cinq minutes se sont écoulées, pas d’arrêt de jeu pour effectuer le remplacement. Marc Vivien Foé s’écroule, fait presque banal, sauf pour Yépes, le Capitaine colombien, qui avec des grands gestes appelle les secours. Son médecin rentre le premier sur l’aire de jeu, suivi du médecin camerounais, qui galope vers le corps sans vie de Marco, avec une bouteille d’eau en main. L’attroupement devient important au rond central, personne ne semble traumatisé, jusqu’à cette image du réalisateur sur les écrans géant, Marco sur le brancard, les yeux révulsés. La dernière sur un écran de télévision avec le maillot des Lions Indomptables. Le jeu se poursuit, l’ambulance s’évanouit dans un coin du stade avec son gyrophare…
Fin de match, la joie d’une qualification pour la finale est débordante, sur l’aire de jeu, comme dans les tribunes. Je décide de prendre l’ascenseur pour aller à la zone mixte. Je confonds d’étage et j’atterris dans les vestiaires. Schäfer est en larmes, un agent de sécurité, surpris par mon intrusion, me renvoie dans les ascenseurs. Mais quelqu’un qui était rentré avec mois dans les ascenseurs, me signale que Marco est mort. Lorsque je remonte, je trouve Mathieu Nathanaël Njog et Yves Léopold Kom, je partage l’information et je décide d’appeler Radio Equinoxe à Douala pour distiller l’odieux scoop.
Sévérin Tchounkeu le patron de la radio, s’oppose à la diffusion d’un tel scoop, estimant que la radio ne saurait assumer la tragédie d’une telle information. Mais j’ai compris par la suite que jeune journaliste que j’étais, il n’avait pas confiance à la qualité d’une telle information. D’autres radios et télés vont annoncer l’information, avant que je ne sois « accepté » sur les ondes. Ce n’est pas le plus grave. Le problème, c’est qu’il faut quitter Gerland plongé dans un océan de pleurs pour attraper le dernier train. Mathieu Njog et moi, sur le chemin du TGV, voyions des blancs pleurer à chaudes larmes, toute une ville était à genoux pour son « Roi ». Dans le train qui nous ramène à Paris, je tombe sur une jeune femme en formation militaire, tout aussi meurtrie que moi, et qui en signe de compassion, m’offre ses charmes !….oui, caresses et tendresses attiraient les regards et à vrai dire, elle avait réussi à atténuer la douleur. Passons.
Une fois à Paris, le discours de Sepp Blatter nous étrangle. Il essaye de consoler la grande famille du football, puis, dans un cynisme mêlé de réalisme lance : « The show must go on ». Tout par la suite va ressembler à ces mots. La mise en scène de la finale sous forme d’hommage, les obsèques au Cameroun où la langue de bois essuyait les larmes. Marco a été trahi par tous. Par sa famille du foot qui ne lui a jamais rendu ce qu’il lui a donné pendant tout ce temps, jusqu’à sa mort au front, trahi par sa famille naturelle qui a choisi de lui rendre hommage en se déchirant sur les biens qu’il a laissé, par la Presse qui accompagne à sa façon le silence de son hommage.
Mais au fait, la Fifa n’a –t-elle pas parlé de « malformation cardiaque congénitale » pour éviter de payer les colossales assurances qui s’imposaient dans le cadre d’un accident de travail ? Mais si les Lions Indomptables sont assurés en pareille compétition, l’assurance de Marco a-t-elle été payée ? A qui ? Cela fait neuf ans que chaque 26 juin, on ré assassine Marco, parce que en fait, il a été assassiné !