Jamais le Cameroun n’a remporté une compétition en ayant dans son staff un psychothérapeute auto-nommé ou avec diplôme. Même avec la résurgence des problèmes de primes, d’égos surdimensionnés ou de rivalité en tout genre, personne n’y a pensé. Curieusement, c’est chaque fois que l’équipe fait des résultats que la Fécafoot et le gouvernement jugent nécessaire de recruter un préparateur mental, un poste pourtant honnis dans la plupart des grandes équipes de football. Mais oh, « les joueurs ne sont pas des malades !»
Dans la perspective de compléter le staff des champions d’Afrique en titre, la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) ressuscite le poste de préparateur psychologique. Le Français d’origine camerounaise Jean Alain Boumsong est proposé au ministre des Sports pour assumer la fonction. Le dernier à l’occuper n’était autre qu’Emmanuel Embane, arrivé en 2011 et reparti un an plus tard pour des problèmes de santé. Avant lui, c’est le Pr Mbédé qui officiait comme préparateur psychologique pendant le mondial de 2010, catastrophique pour les Lions indomptables, sortis au premier tour et avant dernier de la compétition. Avec une sélection nationale balafrée par une querelle profonde, née du retrait, pour le moins brutal, du brassard de capitaine du bras de Rigobert Song pour celui de Samuel Eto’o. L’acte du coach Paul le Guen est mal perçu par certains mais salué par d’autres. Les clans se forment, la tanière est invivable. Michel Zoah, ministre des Sports de l’époque expliquait face aux députés à l’Assemblée nationale que la participation du Cameroun au Mondial a été émaillée du phénomène des égos surdimensionnés et des pratiques mystiques.
Au lendemain de cette débâcle, Emmanuel Ambane, psychologue, est donc appelé à la rescousse. Pour ramener les acteurs autour de l’essentiel qu’est la défense du drapeau, et prôner l’empathie, et une confiance à crever tous les plafonds. Mais il s’en va sans que les mauvais esprits n’aient quitté pour autant la tanière. Le Cameroun passe à côté de deux CAN consécutives : 2012 et 2013. Un an plus tard, le pays réussit tout de même à se qualifier pour le mondial 2014 au Brésil. Grosse déculottée une fois de plus, éliminé au premier tour sans le moindre point, dernier au classement général. Cette fois, l’option d’un psychologue n’est plus envisagée. Le sélectionneur Volke Finke préfère se débarrasser des cadres pour ouvrir la porte de la tanière aux plus jeunes. Un brin d’espoir nait des premières rencontres. L’équipe se qualifie pour la CAN 2015, mais loupe l’occasion de tourner la triste page de leurs devanciers. Ce n’était que partie remise.
Hugo Broos arrive, évolue sur le même schéma d’une sélection sans stars, composée de joueurs moyens. En vue de préparer la CAN 2019 qui se jouera à domicile. Alors qu’on croyait cette équipe de jeunots, non matures et psychologiquement peu dopés, la surprise se produit : le Cameroun remporte son cinquième trophée de Coupe d’Afrique au Gabon. Les observateurs avertis de la scène footballistique africaine analysent cet exploit comme le fruit d’une détermination héritée des vielles générations des Lions indomptables, inspiré du dicton: « impossible n’est pas camerounais ».
Stephen Tataw, Emmanuel Kundé, Patrick Mboma ou Rigobert Song vous diront par exemple, qu’ils ont souvent eux même été leurs propres préparateurs psychologiques. Que le sempiternel problème de primes, les accrochages entre joueurs, les stages mal préparés n’ont que très rarement affectés le moral des Lions indomptables, toutes générations confondues.
L’affaire des primes de Yannick Noah
L’histoire atteste bien qu’aucun succès de l’équipe nationale n’a été obtenu avec un préparateur psychologique. Le débat de son importance a été posé sur la table la première fois en 2006 lorsqu’éclate l’affaire des primes supposément empochées par Yannick Noah en tant que préparateur psychologique des Lions indomptables. Ayant appris que l’État lui avait « octroyé » 17 millions de F CFA, son feu père Zacharie pressentant un coup tordu visant à entacher l’honneur de son fils, monte au créneau dans une interview accordée au journaliste Philippe Boney. Le scandale aboutit au limogeage du ministre Philippe Mbarga Mboa. Du coup, le poste de préparateur mental restera ensuite vacant. Le Cameroun qui avait manqué le mondial allemand, va à la CAN, échoue en quart de finale, mais revient plus conquérant en 2008. Avec Otto Pfister, sélectionneur recruté à deux semaines de la Coupe d’Afrique au Ghana, les Lions parviennent contre toute attente à atteindre la finale. Au cours d’une compétition, où les joueurs de l’équipe nationale étaient les véritables patrons de leur banc de touche. D’une psychologie à soulever les montagnes, ils réussisent à combler les manquements du coach allemand qui ne matrisait pas encore son effectif. Rigobert Song et son équipe n’ont pas eu besoin qu’un préparateur psychologique le leur apprenne.
Il faut dire que l’utité de cette fonction est fortement contestée dans la plupart des sélections nationales. La France, vainqueur de la Coupe du monde, tout comme des équipes présentes en Russie n’ont pas eu recours à ces coachs spécifiques, psychologues de sport. « Faire de la psychologie ? Mais pour faire quoi ? Il n’y avait pas de psy quand je jouais au foot», raillait fin mai le sélectionneur russe, Stanislav Tchertchessov, interrogé sur la préparation mentale de ses troupes, par le confrère du journal Libération. Pourtant, à l’orée de ce tournoi qui se jouait à domicile, l’équipe hôte avait quelques raisons de l’aborder avec le crampon qui tremble. Gernot Rohr, entraîneur allemand du Nigeria, dans un entretien à So Foot disait: « On a déjà montré qu’on était costauds mentalement. Il ne faut pas non plus inonder le groupe avec trop de visages étrangers. Nous ne sommes pas des malades, nous n’avons pas besoin de psychiatres. »
Aucun des principaux favoris du dernier mondial (Brésil, France, Espagne, Croatie, Portugal ou Belgique) n’a encore intégré de préparateur mental attitré à son encadrement. La présence au côté de la Mannschaft depuis 2004 du préparateur mental et psychologue reconnu, Hans-Dieter Hermann, n’a pas empêché les Allemands de sombrer en Russie. Tandis que le sélectionneur suédois, dont l’équipe a conquis la première place du même groupe, a toujours une place dans son staff pour Daniel Ekdall, psychologue et spécialiste de thérapie comportementale cognitive, pour qui « la psychologie joue un rôle dans chaque passe, chaque dribble ou chaque tacle. Comment faire pour que chacun soit le meilleur possible sur le terrain, comment aider ses coéquipiers pour la prochaine action ? Tout tourne autour des relations et de la communication.»
Il est du reste peu aisé de mesurer le sérieux et l’impact de ces nouveaux praticiens d’une équipe à l’autre, tant les CV varient et l’environnement du football accuse du retard dans son ingestion des sciences du cerveau et de l’esprit, pourtant approfondi de longue date par d’autres sports.
Du coup on peut d’emblée s’interroger sur l’apport de Jean Alain Boumsong chez les Lions indomptables. D’ailleurs que son rôle n’est plus précisé dans la décision du président du Comité de normalisation qui le nomme simplement comme coach adjoint. Tout se passe comme si le but était juste de lui trouver un place dans la tanière, n’importe laquelle. Pour être là, présent, au sein du staff. Et peut-être faire le compte-rendu à qui de droit ?
On dirait une affaire de copains.
Christian Djimadeu