Jeudi soir, au Point d’Achèvement, l’établissement le plus pittoresque de Mimboman où j’ai mes habitudes, l’ambiance n’est pas spécialement à la fête. Il faut dire que dans ce quartier de l’est de Yaoundé, la misère s’installe davantage et le désespoir s’incruste malgré les grandes quantités de bière dans lesquelles les habitants s’attachent à le noyer. Madame Tsala, voyez-vous, qui braisait du maquereau chinois à l’arrière, a été emportée par une vilaine pneumonie. Les clients n’ont pratiquement plus rien à se mettre sous la dent et restent des heures devant leur bouteille, étonnamment tranquilles.
Dans une telle atmosphère, le football eût été, il y a quelques années, un excellent exutoire. Mais à quelques heures d’un match important des Lions, qui étaient à l’entraînement en ville aujourd’hui, pas un mot sur le football, aucune conversation animée sur les choix de M. Akono, rien sur M. Eto’o.
On peut, lorsqu’on se rend compte des énormes difficultés que rencontrent les gens d’ici dans leur vie de tous les jours et la morgue avec laquelle des ressources publiques sont diverties vers le football, se réjouir de la perte d’enthousiasme des populations à l’égard d’une activité nuisible à certains égards. On peut aussi, avec raison, déplorer le tassement de cet engouement de très longue date tenant en partie à l’assèchement du talent, mais surtout à une gestion lamentable. Le football, on ne peut pas le nier, avait une incidence positive sur le moral des Camerounais. Ce n’est plus vraiment le cas, et c’est dommage.
Le match de samedi contre les Togolais ne changera rien à rien. Beaucoup de personnes ici s’attendent à une défaite tout en souhaitant une victoire, parce que nous jouons chez nous. Ce qui est réjouissant pour un simple observateur du football au pays, c’est que de plus en plus de Camerounais reconnaissent que nous avons définitivement perdu pied et que la plupart des pays africains, par exemple, sont nettement plus vertueux et nous dépassent. Ce qui est terrible, c’est qu’on se rend compte qu’en dépit de cette belle prise de conscience, les Camerounais pensent toujours que c’est comme ça et qu’il n’y a rien à faire. Peut-être suffirait-il, vocifèrent certains, de mettre M. Iya à la porte ou à Kondengui.
Léon Gwod