Je suis arrivé à Rome tôt le vendredi matin, au terme d’un léger et plutôt agréable vol de 45 minutes depuis Tunis. Marie était là, un peu boudeuse ; l’ordinateur en bandoulière, un baise-en-ville et une petite valisette constituaient le seul viatique dont nous nous étions munis pour une petite virée à Rome qui devait finir en apothéose le samedi soir au Stade olympique où on annonçait un Roma-Inter de feu.
J’avais le temps, je me disais, de musarder en ville, de paresser et, surtout, de tâter du gosier les innombrables variétés de « pinot griggio » que les cafés italiens servent généreusement et qui me font toujours la courte-échelle vers le paradis de Bacchus. Je ne vais pas vous le cacher : je n’aime pas l’Italie ; je n’ai jamais visité un stade italien ; je trouve les supporters italiens méchants et pas fréquentables du tout ; je ne visite ni les musées ni les vieilles églises.
Mais prenez l’Oubangui ; gardez l’or du Fouta-Djallon ; je vous laisse le Plateau de l’Adamaoua où la Sanaga, dit-on, prend sa source. Mais de grâce, sur cette terre, laissez-moi juste le petit kilomètre qui sépare la Place Barberini de la Villa Borghèse, sur la via Veneto. Quel bonheur ! J’y suis toujours arrivé de la même façon. Depuis la Place Barberini, direction nord, à main gauche, tout droit, ça monte un peu, et puis, on est devant Harry’s Bar. Je me suis coucouné le ventre ici des millions de fois, j’ai bu ici les chiantis les plus gouleyants de Toscane ; j’ai aimé, en rêve peut-être, enveloppé dans les vapeurs des vins du Frioul, ces somptueuses callipyges qui battaient le pavé montées sur des hauts reliefs primesautiers. Mais je m’égare…
Je ne pourrai pas vous parler du match Roma-Inter parce que j’ai oublié, je n’ai pas pu y aller, Marie boudait sans doute, je ne sais pas vraiment. Mais après tout, on ne vit pas seulement de foot, quand même ! Ce match commençait à 20 heures, pensez donc. Et 20 heures, c’est l’heure de la « grappa » chez Rico. C’est comme l’heure du luth chez le poète : on ne peut pas laisser tomber ça. Vous allez me dire : et votre travail ? Vous auriez pu vous presser un peu, tout de même ? Je vous répondrais : le travail ne nourrit pas toujours son homme et puis, on ne bouscule pas la « grappa ». C’est la grappa qui vous mène, qui vous dit comment la boire, à quel rythme et dans quelle atmosphère.
Et puis, comprenez-moi : il y avait au menu ce soir-là des « pennette alla vodka ». Une splendeur toute simple, toute rustique, mais roborotative, goûteuse… Un seul secret : des pâtes faites avec de la semoule de blé dur, de la crème fraîche et des tomates gorgées de soleil. Mais Rico fait plus : sa tomate, il la fait braiser, donc cuire lentement dans son jus. De légume, la tomate se mue en fruit, parfume la crème, ramollit le craquant des pâtes cuites « al dente », adoucit le parmesan. Et se laisse longuement arroser. Samedi soir, c’était un Sassicaia 1996. La Toscane éternelle dans la bouteille.
Ah ! Oui, le match alors. Vous en avez entendu parler comme moi. C’était nul, non ?