Oui, vous avez bien lu : une fois n’est pas coutume, je ne viens pas, vous entretenir des « maux » de notre football (il y aurait pourtant matière à…), mais des mots que nous utilisons, chez nous, pour parler de notre deuxième religion après le christianisme pour les uns et l’islam pour de nombreux autres.
Au Cameroun, le football est un dieu, et Milla est son prophète. Ayant eu la chance de vivre dans d’autres pays, y compris des nations africaines, j’ai pu me rendre compte que notre rapport au football est spécial : comme on dit en Louisiane, il y a amour entre nous. Or, s’il semble que l’on fasse l’amour (comment peut-on faire un sentiment ? Je garde ce débat pour d’autres espaces), il se trouve surtout qu’on le dit, qu’on le parle et qu’on le chante. Or, le vocabulaire que nous avons développé chez nous montre que nous aimons le football d’un amour très bavard. Voici donc un petit lexique incomplet et impertinent des camerounismes footballistiques :
Boule (substantif, fém.) : le ballon de football. Origine : il est assez évident que les jeunes camerounais ont ainsi désigné leur jouet favori à cause de sa forme sphérique.
Capi (substantif, masc.) : Capitaine d’une équipe. Mot obtenu par apocope, comme « prési » pour président.
Changeam [tchéndjam] (substantif, masc.) : Passe transversale aérienne d’un côté du terrain à l’autre. Etymologie supposée : verbe anglais « to change », qui est passé au pidgin, sous la forme conjuguée « a di changeam » (je change), avant de devenir, par dérivation, un nom.
La technique du changeam a été immortalisée par Pierre Womé, qui nous régalait de passes de 40 mètres qui atterrissaient sur le pied droit de Njitap, avec une précision chirurgicale.
Essuie-glace (substantif, masc.) : métaphore désignant un ailier rapide, technique et capable de déborder à tous les coups son latéral. Origine supposée : C’est feu Emana Marco qui reçu ce sobriquet admiratif, en raison des qualités citées ci-dessus, qui faisaient sa force.
L’expression « essuie-glace » a sûrement quelque chose à voir avec le coup de rein grâce auquel il se débarrassait de son vis-à-vis, ou avec le fait que celui-ci finissait le match complètement « nettoyé ».
Filmer (verbe) : on dit qu’un gardien filme un but, lorsqu’il amorce une parade pour essayer de capter le ballon, montrant ainsi l’attitude de celui qui prend une photo.
La plus belle photo de l’histoire des Lions Indomptables fut prise par Alioum Boukar à la 49ème minute de la finale de la CAN 2000, à Lagos.
Guio (verbe) : Jouer au football. Etymologie supposée : inconnue.
Hemlé (substantif, masc.) : Esprit guerrier fait de hargne, de fierté et de courage indomptable. Le hemlé est une condition incontournable pour évoluer au sein de l’équipe nationale du Cameroun. Les joueurs qui n’ont pas été formés sur nos terrains vagues le reçoivent dès leur première sélection à l’équipe nationale, au cours d’une cérémonie plus mystérieuse que l’élection du pape au Vatican. Etymologie supposée : le mot est originaire du pays bassa’a, mais n’étant pas bassophone, je suis bien en peine de vous dire sa signification exacte.
Joueur (substantif, masc.) : coéquipier.
Kengué (substantif, masc. Fém : kénguée) : mot générique désignant tout à la fois la bêtise, la stupidité et l’ignorance dont certains Camerounais et certaines Camerounaises continuent de faire preuve en matière de football. Etymologie : le mot est sûrement issu d’une langue camerounaise, mais je suis bien en peine de vous dire laquelle. Attesté par L. Ndogkoti, qui a conceptualisé la kenguéitude, en élargissant son champ d’application à tous les domaines de la vie, afin d’en faire un outil éducatif au service de ses compatriotes.
Mboundja (verbe) : marquer un but. Etymologie supposée : Zackarie Nko, journaliste-radio camerounais de langue anglaise et de grand talent, lorsque l’infâme adversaire menaçait nos buts, avait l’habitude d’alerter ses auditeurs par un tonitruant « Danger for Cameroun ! ». Le mot anglais « danger », prononcé en pidgin, se transforme en « ndéndja », qui a donné « mboundja ». Je vous concède que le danger, pour le coup, est pour l’adversaire, et que « mboundja » n’a plus rien à voir avec le contexte de « danger » pour notre gardien. Mais les voies de la linguistique populaire sont tortueuses.
Ndamba (substantif, masc.) : football en tant que sport, par métonymie avec le mot utilisé dans certaines régions du Cameroun pour désigner le ballon de football. Ce mot lui-même est issu d’une autre métonymie : en effet, le mot ndamba signifie caoutchouc ou simplement le latex, matière avec laquelle on fabriquait la balle utilisée pour le ndjeck (balle à la sagaie). Etymologie : mot originaire du pays beti/boulou/ntoumou.
Le ndjeck est attesté par Mongo Beti dans son roman « Mission Terminée », où il est désigné par l’expression « balle à la sagaie ».
Nfinga ikié [nfinguikié] (substantif, masc.) : littéralement, la couverture de fer. C’est le geste qui consiste à couvrir son ballon, afin d’empêcher l’adversaire de le toucher. La couverture de balle est assez courante dans le football, mais il faut aller voir un match de football au Cameroun pour comprendre pourquoi notre couverture à nous est une couverture de fer. Origine : expression originaire du pays beti/boulou/ntoumou.
Attesté par l’Oncle Otsama.
Nkap (substantif, masc.) : l’argent. Etymologie : mot originaire d’une langue de l’ouest-Cameroun, je ne sais pas exactement laquelle. Le nkap est au centre de la vie footballistique au Cameroun, surtout les années de Coupe du Monde. A ce propos, on est toujours à la recherche d’une mallette pleine de billets de banque, et qui aurait disparu des écrans radar au-dessus de l’Atlantique Nord en 2004.
Ntong (substantif, masc.) : la chance. Etymologie supposée : le mot est originaire du pays bassa’a, mais n’étant pas bassophone, etc. Attesté sur le site www.litenlibassa.com et par L. Ndogkoti, qui le conceptualisa et l’intégrant dans le paradigme de la victoire en football.
Ntoum (substantif, masc.) : geste défensif assez inclassable, qui consiste à planter sa jambe entre le pied de son vis-à-vis et le ballon, avant de l’envoyer (l’adversaire) valdinguer grâce à un coup d’épaule. Purement camerounais, le ntoum ne doit être utilisé que par des joueurs sûrs de leurs moyens physiques. Etymologie supposée : mot originaire du pays beti/boulou/ntoumou, où il signifie le pieu, voire le pilon.
Obom (substantif, masc.) : geste technique qui consiste à faire passer le ballon entre les jambes de son vis-à-vis. Obtenu par etymologie, car l’obom est le cache-sexe fait de fibres qui se nouait au niveau des reins, et qui protégeait l’entre-jambes de nos ancêtres. Etymologie : le mot est originaire du pays beti/boulou/ntoumou. Attesté par Yannick Noah dans sa chanson « Saga Africa ». Synonyme : zôlô.
Zôlô [prononcer avec des « o » ouverts] (substantif, masc.) : geste technique qui consiste à faire passer le ballon entre les jambes de son vis-à-vis. Le zôlô est imparfaitement traduit en français par l’expression « petit pont ». Etymologie : le mot est sûrement originaire du pays beti/boulou/ntoumou, mais je ne saurais vous le garantir.
Attesté à plusieurs reprises par le journaliste Pierre Lebon Elanga, sur les antennes de la CRTV. Synonyme : Obom.
Fin provisoire de ce lexique.
En guise de conclusion, je n’ai plus qu’à demander à mon lecteur deux services : compléter la liste, et corriger mes éventuelles erreurs.
Atango, Amiens, France