De quels maux souffrent donc nos Lions Indomptables? Je dis nos car depuis trente ans l’ai suivi de près, de très près même le parcours de cette équipe au point qu’il m’est arrivé très Couvent de dire que je me reconnaissais bien Davantage en elle qu’en celle de mon pays, au risque d’en surprendre plus d’un.
J’ai commenté tous les matchs du Cameroun depuis le dernier match éliminatoire pour la Coupe du monde 1982 contre le Maroc, à Kenitra d’abord, à Yaoundé ensuite, jusqu’à la finale de la CAN 2000 au Nigeria. J’ai vécu son premier Mondial en Espagne, /mis celui de 1990 qui de tous mes souvenirs de radio-reporter reste le pus beau. J’ai accompagné l’équipe à son retour d’Italie, j’ai suivi son défilé dans les rues et les faubourgs de la capitale: un de mes plus beaux souvenirs.
Depuis lors, je n’ai cessé d’attendre et d’espérer un plus grand exploit! Je suis parti en Afrique du Sud plein d’espoir. Malheureusement, encore une fois, j’ai dû déchanter. Où étaient passés les guerriers qui longtemps ont fait l’admiration de tous? Ils étaient perdus dans un mélange d’insouciance et d’indifférence. Tout simplement absents des débats. Il faut, aujourd’hui, une grande dose d’obstination voire d’acharnement, pour leur accorder quelque crédit. De déceptions en déceptions, ils ont fini par décourager ceux qui croyaient que l’esprit de leurs aînés continuerait de les porter vers les sommets. Les Lions Indomptables ne nous font plus rêver. Ils sont devenus une équipe sans âme, sans tripes, une équipe banale, incapable de susciter le moindre enthousiasme.
Savoir être patient est le lot de bien des supporters. Mais que dire à ceux qui n’ont pas vécu les heures glorieuses des Milla, Abéga, Kundé, Mbida, Nkono et tous les autres! Qu’après la pluie vient le beau temps ? On ne s’habitue jamais à la pluie. On rêve de victoires et de trophées, pas de présences plongées dans les profondeurs de l’anonymat. De quels maux souffrent donc nos Lions Indomptables ? M’appartient-il de le dire ? Mes confrères camerounais ne sont-ils pas mieux placés que moi pour répondre à cette interrogation ? Je me réjouis que Jean-Bruno Tagne ait décidé de lever le voile sur leurs défaillances, au regard de leurs prestations en Angola et en Afrique du Sud. Je suis heureux que de jeunes confrères, à son image, tentent de prendre mon relais. Quarante années consacrées au football africain seraient vaines à mes yeux si j’avais le sentiment que quelque chose devait s’arrêter. Et je ne cesserai d’encourager les uns et les autres à prolonger mes engagements. J’aurais la sensation de ne pas être allé au bout de l’un de ceux-ci, si je ne m’efforçais pas de leur passer le témoin. En Afrique du Sud, j’en ai voulu aux Lions Indomptables de nous avoir trahis, nous qui les aimions tant et les soutenions aveuglément.
Chaque matin qui passait, j’en parlais avec Roger Milla qui logeait dans le même hôtel que moi.
À mes yeux et je me dois de le confesser, c’est le sélectionneur qui porte la responsabilité de l’échec. Par curiosité, j’ai plongé dans la composition de son équipe depuis sa prise de fonction. Pas une seule fois, il n’a aligné au départ la même formation.
Peut-on dans ces conditions espérer réussir? Sincèrement, je ne le pense pas. Et les faits, hélas, nous l’ont confirmé.
Lorsque le Cameroun a réalisé sa plus belle Coupe du Monde, un inconnu notoire dirigeait l’équipe, le turkmène (alors soviétique) Valéri Nepomniachi. Il était accompagné d’un trio camerounais. Lorsque les Lions Indomptables ont remporté la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Sydney, l’entraîneur s’appelait Jean-Paul Akono.
Depuis longtemps je suis un ardent défenseur des entraîneurs nationaux. Ils ont une connaissance de leurs compatriotes que les expatriés n’auront jamais tant qu’ils passeront plus de temps dans les avions que dans le pays qui a remis le destin de son équipe nationale entre leurs mains.
L’Afrique dans sa globalité fait malheureusement encore une aveugle confiance aux étrangers. Pourtant, nombre de ses fils recèlent des qualités qui n’ont rien à envier à celles de migrants qui ne sont là que pour s’évader du chômage ou faire une pige rémunératrice. Si je n’avais qu’une chose à dire ce serait celle-là : « Ayez confiance en vous, ayez confiance en vos propres valeurs. Vous n’êtes pas moins compétents que les autres. Si vos entraîneurs disposaient de la même confiance que vous faites aux mercenaires étrangers, les résultats seraient sans doute meilleurs, en tout cas pas pires. » J’en appelle humblement à une prise de conscience générale.
En me laissant emporter, je m’écarte d’une sorte de devoir de réserve que toute personne, sollicitée comme je l’ai été, par Jean-Bruno Tagne, observerait au moment d’introduire une réflexion sur son équipe nationale de football. Je souhaite que cet ouvrage serve de point de départ à une réflexion générale au Cameroun. Ce que les héros des temps passés ont réalisé, faisant la fierté de toute l’Afrique et de nombreux admirateurs dans mon genre, ne peut pas demeurer un lointain souvenir que les plus jeunes ne connaîtront jamais. Le talent n’a jamais déserté les rangs des Lions Indomptables. Mon rêve est qu’ils reprennent un jour la place qui fut longtemps la leur. Le plus tôt sera le mieux.
Gérard Dreyfus, dans la préface du livre de Jean-Bruno Tagne intitulé Programmés pour échouer, paru aux Editions du Schabel