Toute liste reflète l’état d’esprit de celui qui la commet ; elle en dit long sur les motivations qui le guident dans ses choix ; elle trahit très souvent les influences qu’il a subies ; elle révèle sa capacité, faible ou forte, à résister. Bref, une liste de joueurs qu’un entraîneur compose peut en dire plus long sur lui que tout autre exercice psychanalytique.
Quelques mois seulement avant la Coupe du Monde, Paul Le Guen n’avait-il pas laissé échapper son côté agent de joueurs en appelant sous le drapeau, contre toute attente, deux jeunes gais lurons, au palmarès international étonnamment vierge, des Astres de Douala : Abouna Ndzana et Mabouka Massoussi ? Le premier s’était retrouvé en Autriche dès le lendemain du match amical contre l’Italie à Monaco ; ce qui permit à tout le monde de déceler les visées du sélectionneur breton. Le Guen parti, nos deux génies précoces ont été ravalés dans leur catégorie, ce qui n’est que fort logique.
Revenons à nos deux curiosités de la liste composée par Jacques Songo’o et Omam Biyick pour affronter les Mauriciens. Parmi tant d’autres visages peu connus du public, leurs noms ont sonné comme autant d’alarmes, si ce n’est d’alertes au bon sens. Il s’agit de ceux de Joslain Mayébi, inséré parmi les gardiens de but, et de Franck Songo’o, au milieu de terrain. L’intention ici n’est pas de remettre en cause le talent et le génie qui pourraient habiter ces deux jeunes citoyens. En tant que footballeurs, nul ne peut leur renier l’ambition de frapper à la porte de toute sélection nationale camerounaise. N’est-ce pas le droit de quiconque embrasse le métier de footballeur ? Mais que l’on préfère ces deux-là à des joueurs plus futés et plus aguerris, aux mêmes postes, pose forcément problème.
Une sélection nationale se définissant comme une macédoine des meilleurs joueurs de l’heure à leur poste, il nous semble bien difficile à faire admettre aux incompétents que nous sommes, que Mayébi et Songo’o sont bien meilleurs à leurs postes que Kaméni ou Souleymanou pour le premier, et Alexandre Song ou Emana, pour ce qui est du deuxième. On a beau refusé de rattacher leur appel en sélection avec le seul fait de leur homonymie avec des personnes jouissant d’une certaine influence dans les cercles de décision des Lions indomptables, rien n’y fait : nous sommes bel et bien face à un cas de népotisme. Je connais trop bien David Mayébi, le père de Joslain, pour l’absoudre d’un tel délit.
Qu’il plaise de rappeler ici un principe qui régit les sociétés modernes et démocratiques [bien différentes des monarchies] : l’héritage ou l’ascendance ne garantissent pas forcément le talent, l’intelligence ou la compétence. Même si l’on est « bien né », si l’on descend d’une lignée de footballeurs époustouflants, on n’est pas forcément dépositaire du savoir-faire de ses géniteurs. Le nom seul ne suffit pas. Tous les Pelé n’ont pas ébloui le monde du football, pas plus que Junior Milla ne nous fera rêver comme son illustre père. Eto’o Fils eut il des parents footballeurs ?
Si la tendance ainsi enclenchée guide les sélections à venir des Lions indomptables, que l’on s’attende à une razzia des places par les différents « fils de » qui peuplent les championnats du monde entier et qui, ne pouvant se mesurer à leurs concurrents, en faisant prévaloir leur compétence sur les terrains, n’attendent généralement que le coup de pouce d’un parent influent du ministère de tutelle ou de la Fécafoot pour prétendre à une titularisation. Une telle dérive sifflerait à coup sûr la fin de la promotion par la compétence et le talent, et confinerait au ban tous les « sans nom », les « No name » qui font, depuis des lustres, la grandeur de notre sport en général, et de notre football en particulier.
Jean Lambert Nang