C’était en 1970, à la sortie de l’adolescence, dans la sacristie de la chapelle du Collège Libermann, à Douala. Il y avait là le RP Aruppe, le pape noir, le supérieur général de la Compagnie de Jésus – les Jésuites, donc – l’abbé de Julliot, co-célébrant, moi, le thuriféraire avec l’encensoir, et 4 servants de messe de 6e, porte-mitre et acolytes. C’était l’époque où on parlait couramment latin, un latin de cuisine qu’importe, et où on allait à la messe pour se recueillir et non pour se trémousser le popotin.
En réponse à une maladresse d’un des acolytes, l’abbé de Julliot avait lancé un tonitruant « m… » qui avait fait sursauter le révérend père Aruppe. En bon Espagnol qu’il était, donc complètement fermé au français, il s’était penché vers moi pour me demander : « Quid dixit » ? Et moi, en bon potache dont j’ai toujours l’âme, j’avais répondu : « Dixit merdas ».
Pouvoir dire « m… », on ne se rend pas toujours compte, est une faculté extraordinaire et un luxe de très grande facture. Mes lecteurs savent-ils que dans l’Armée américaine, un officier général a le droit de dire le mot de Cambronne une seule fois et, ce faisant, gagne le droit de quitter l’armée avec tous ses droits et privilèges ?
Vous vous imaginez le journaliste sportif au pays avec le luxe de tout laisser tomber et d’aller tranquillement manger les prunes à Sipandang sans se soucier du lendemain ? Je vais vous avouer une chose : je suis très tenté. Tous les jours.
Pensez donc : la vie sans la peur d’un coup de tête de la part de l’un de nos maîtres-à-jouer ; une journée sans avoir à convaincre notre capitaine que nous avons aussi droit d’exister ; une minute sans menace de licenciement pour question irrévérencieuse ; une seconde sans passer pour un vendu, un jaloux, un incompétent, un mauvais patriote, un anti-Iya, un anti-Biya, un anti-SEF, un corrompu ou, le pire des pires, un journaliste dans la mangeoire. Le bonheur, non ?
Moi, Leonidas, et tous mes confrères, à la solde de Bell, en mission de destruction au bénéfice de Njitap, recrutés pour mousser la candidature de tel ou autre sélectionneur, payés pour saper le travail de la Fédération, en guerre contre Milla sur commande de-qui-vous-savez-suivez-mon-regard, entretenus par Djemba Djemba, aux petits soins du MINSEP où il y a le gombo, tenus en laisse par SEF, Dieu le Père, père fouettard et grand distributeur de frigos et d’autres douceurs. Moi, le doungourou d’un footballeur ou d’un ministre révocable sans préavis ?
Vous vous rendez compte de ce que cela peut faire à notre moral et à notre amour propre ? Et si les insultes et tous les noms inimaginables d’oiseau qu’on nous balance ne suffisaient pas, les conditions matérielles dans lesquelles travaillent les journalistes du football au pays, les couleuvres qu’il faut quotidiennement avaler pour travailler, l’atmosphère de délabrement moral des acteurs principaux du foot dans laquelle nous vivons, la chienlit généralisée qu’entretiennent les responsables de formations sportives et les organismes directeurs du foot, sont toutes des conditions quasi-rédhibitoires pour la pratique de notre métier.
Cela vous choque-t-il de constater que chez nous, deux équipes appartenant à la même personne se retrouvent en finale de la coupe nationale ? Si c’est oui, alors sachez que pour nous, cela est absolument intolérable. Il faut vraiment avoir de l’estomac pour supporter ça.
Mais il y a pire. Les mois de juin et de juillet, lorsque le moindre chauffe-banc en Moldavie, l’intermittent de l’AS Juvisy-les-Beaune et le remplaçant attitré des cinq dernières minutes au Spartak de Cracovie, déferlent sur le Katios à Yaoundé. Nous, c’est carrément la mort. Ils roulent les mécaniques, exigent un traitement royal, nous regardent à peine et, évidemment, accaparent la moindre greluche de passage et font monter les enchères partout. Pour nous, finies les vacances, même à SongBell !
Alors, se faire hara-kiri ? Démissionner ? Jamais. Minalmi. Mouf mi dèh. Je suis là et je reste. Ni le MINSEP, ni la Fécafoot ni les abominables conditions ambiantes ne me feront quitter mon job. Encore moins quelques footballeurs boursouflés de suffisance et dépourvus de talent.