Monsieur Inoni, en suspendant le fameux chantier virtuel des stades de football, a montré qu’il nous connaît bien. Nous les gogos, les jobards et les béats du Cameroun. Il nous a administré un tranquillisant. Mes lecteurs lui en savent gré et ont applaudi. D’ailleurs, Monsieur Inoni est devenu notre héros depuis que, toutes affaires cessantes, il a interrompu les insupportables facéties auxquelles se livraient des galopins vieillissants face à un MINSEP dont l’autorité n’est manifestement pas ce qu’on eût attendu à ce niveau de l’État.
Des mauvais esprits ont laissé entendre que le Premier ministre doit peigner la girafe toute la journée pour venir comme ça, sans avertissement, prendre en main le règlement d’une banale affaire de football. Mes lecteurs, eux, ne pensent pas du tout que le chef du gouvernement du pays n’a pas grand-chose à faire de ses journées. Ils se félicitent plutôt de voir que, pour la première fois au Cameroun, quelqu’un se déclare ouvertement responsable de la marche des affaires du pays.
Nous en prenons acte et profitons de cette bonne volonté pour d’une part gronder gentiment le PM et, d’autre part, puisque personne d’autre ne semble nous écouter, mettre notre palabre entre ses mains.
Nous avons exprimé de fortes réserves au moment du lancement du cirque des stades chinois au Cameroun. Nous avons relevé l’absence de transparence, la volonté de passer en force du MINSEP, l’opacité des chiffres, le refus de diffuser des informations crédibles. Nous pensons que le Premier ministre aurait dû nous écouter à ce moment là. Ou qu’il aurait dû se méfier. Par exemple, aucun de mes lecteurs ne se rappelle avoir jamais demandé aux pouvoirs publics camerounais de lui construire dix stades. Pourquoi donner au client plus que ce qu’il demande ? Dix stades, Monsieur le Premier ministre, cela seul aurait dû vous émouvoir.
Tout ce que nous avons jamais demandé, c’est un stade. Un seul petit stade décent où on puisse jouer décemment au football. Un seul stade pour que cessent les quolibets, les railleries, les humiliations de la part du moindre bouvier malien, du paysan équato-guinéen ou de l’ouvrier ivoirien.
La façon dont les choses se passent au pays, on peut parier sans grand risque que les Chinois, M. Melingui et M. Edjoa, sont d’abord passés par le bureau du PM avant de lancer leur cirque avec la fanfare qu’on connaît. M. Inoni a donné son imprimatur, sans doute. De bonne foi, sans doute aussi. Mais nous avons émis un certain nombre de préoccupations qu’il n’a visiblement pas retenues.
Nous avons demandé à connaître les chiffres exacts et, surtout, la véritable contrepartie camerounaise et le rôle de M. Melingui. M. Melingui n’est pas un vulgaire garçon de courses et, s’agissant des Chinois, la circonspection la plus serrée est de rigueur. Avec eux, on ne sait jamais si on a affaire à des Chinois du Viet-Nam, à des Chinois de Courbevoie ou à des Chinois de Kassalafam. Ces gens-là, c’est kif-kif pareil. Prudence donc.
Surtout que les bons Chinois n’interviennent pas en Afrique selon le schéma que M. Edjoa avait brossé. Le truc que la bande du MINSEP a chichement exposé puait la poisse et la chausse-trape. Le profil d’intervention des Chinois en Afrique ne varie pas. Deux cas simples l’illustrent parfaitement.
Angola 2005. Les Chinois octroient à ce pays un prêt de 2 milliards de dollars contre 70 % des contrats pétroliers. C’est terrible, mais c’est signé chinois pur porc. Dar-es-Salaam, Tanzanie. Stade de 60 000 places inauguré ce mois-ci. 43 millions de dollars EU, soit environ 20 milliards de nos francs BEAC. Le montage financier pour ce projet tanzanien est exemplaire : 23 millions pour les Tanzaniens et 20 millions pour les Chinois. Ce qui veut dire que les Chinois sont tombés sur un os.
Tout ce que nous savons, nous, c’est que les Chinois nous auraient demandé 16 milliards de francs. Pourquoi 16 milliards, alors que le coût total du projet était évalué à 410 milliards ? Mais surtout, ces 16 milliards, que trois ministres de la République (moins un ministre en cours de route) sont allés convoyer en Chine, contre l’avis des Chinois il faut souligner, viennent-ils du Trésor public ou s’agit-il de fonds privés ?
Prenons pour acquis que les 16 milliards viennent bien des coffres de l’Etat. Dont la garde ultime est confiée à M. Ephraim Inoni, le patron de tout le monde. Prenons également pour acquis que c’est bien M. Inoni, Ephraim, le même homme, n’est-ce pas ? qui a autorisé le déblocage de cette somme. Les Chinois seront contents de constater que le chef d’un gouvernement qui prétend ne pas avoir le moindre sou pour financer la construction d’un stade a 16 milliards à envoyer dans une de leurs banques.
Les Basaas aiment à dire « lihuu ni ngoy, wèè ngoy ». Littéralement : si vous avez le poil d’un sanglier, alors vous avez un sanglier. Si M. Inoni a 16 milliards, alors M. Inoni a un stade. Comme les Maliens. Le Stade du 26 mars à Bamako, 360 millions de francs. Comme les Congolais. L’énorme Stade des Martyrs de Kinshasa, 80 000 sièges, 17 milliards de francs. Comme les Tanzaniens. Le Stade de Dar-es-Salaam, 60 000 places, 20 milliards.
Le PM a « suspendu » le projet. C’est la sagesse même. Il reste à récupérer 16 milliards. Les Chinois n’en ont pas besoin. Nous, si.