Ce Monsieur Iya, quel veinard quand même ! Il a un job du tonnerre, il voyage en première, descend dans les meilleurs hôtels de la planète et dîne aux meilleures tables du monde. Il n’a pas de patron connu, peut-être entend-on parler vaguement d’une organisation basée loin, en Suisse ; il n’a pas d’heures de bureau précises et, d’après la rumeur, il se paierait lui-même. Pour ne rien faire, en fait. Il voudrait bien, il semble, mais chaque fois, quelqu’un d’autre s’interpose pour faire à sa place. Pas fou, il ne dit plus rien. On prétend qu’il sourit benoîtement et semble très intéressé par la chienlit qui s’installe dans sa propre maison.
Le landerneau est dans un état lamentable. Le marché de hire hare, l’incroyable bacchanale qui s’est installée au cœur du football camerounais, la pagaille en fait, tout cela procède de la confusion des rôles qui plombe l’exécution de toute politique publique au Cameroun. Le seul responsable des scènes ridicules auxquelles on assiste depuis quelques jours est le MINSEP. Monsieur Edjoa, on l’eût pensé, était un ministre de la République, dont on attend qu’il définisse les grandes lignes et imprime l’orientation stratégique à la pratique du sport au Cameroun.
Mais vous pensez bien, cela aurait été trop simple. Alors, M. Edjoa est ministre des Lions indomptables, recruteur d’entraîneurs, payeur de primes, père fouetteur, accompagnateur de footballeurs, bâtisseur de stades sur papier, négociateur de contrats de sponsoring et, accessoirement, arbitre de querelles entre ses employés et commissionnaires.
De quoi s’agit-il, à la vérité ? D’une défaite, une toute petite défaite des Lions menés par leur entraîneur, Otto Pfister. En suscitant tout le grabuge qu’on a observé, le ministre était-il mû par le souci de prévenir d’autres échecs ou se sert-il de la mauvaise humeur des Camerounais pour se faire oublier et faire porter l’opprobre à d’autres ?
C’est M. Edjoa qui a recruté M. Pfister, et je pense fermement que ce n’est pas la plus grosse bêtise qu’il aura faite. M. Pfister est un bon entraîneur pour nous. Cela dit, il ne suffit pas de le recruter. M. Edjoa doit le protéger et, pour une fois au Cameroun, lui donner les moyens et toute l’autorité dont il a besoin pour faire son travail. On ne peut pas constamment mettre en doute la stratégie d’un entraîneur, critiquer ses choix, le vilipender dans les dîners en ville, le soumettre à toutes les humiliations, le menacer de sanctions publiques et, pour finir, le jeter en pâture à la meute d’opportunistes et de pique-assiettes qui gravitent autour des Lions. Cela doit cesser.
À cet égard, justement, qu’on m’explique donc le jeu que joue Roger Milla. Fusible pour la Fécafoot, électron libre ou exécuteur de basses œuvres pour le MINSEP ? Y a-t-il eu ces dix dernières années un entraîneur que M. Milla n’aurait pas, sur la foi de la rumeur, essayé de flinguer ? M. Pfister est l’entraîneur des Lions et non un petit écolier qu’on convoque et qu’on gronde devant tout le monde. Il a autant droit au respect et à la considération que M. Milla l’ambassadeur. Si on le cherche, il a parfaitement le droit de se défendre. Et si, comme on le dit, M. Milla n’a pour solution que la risible idée d’un collège d’entraîneurs, alors que Monsieur l’Ambassadeur délaisse un peu le foot et s’adonne à la poésie tibétaine. Cette idée est d’un ridicule abyssal.
Les gesticulations des politiciens et des dirigeants du foot auxquelles on assiste depuis quelques jours ne me soucient pas outre mesure. Ce qui est décevant, je le crois, c’est encore une fois la réaction de mes compatriotes. La défaite a fait mal. Je le comprends. Mais elle n’est quand même pas suffisamment terrible pour aveugler l’ensemble des Camerounais. La défaite contre le Togo, le délabrement progressif des Lions, ne sont pas attribuables à M. Pfister, mais surtout aux responsables qui n’ont jamais investi, nourri, cultivé, prévu. C’est à ces gens-là qu’il faut demander des comptes.
Il est temps d’envisager dans la sérénité la chute progressive des Lions indomptables. Cela est inéluctable et pas nécessairement négatif. Toutes les grandes sélections ont connu de longues années creuses. Perdre maintenant n’a donc rien de singulier. Ce qui est important, c’est de reconnaître que nous précipitons notre propre chute parce que nous ne prenons pas suffisamment soin de nos affaires et de s’armer pour renaître en ne tombant pas dans les mêmes travers.