Il est de coutume que l’intersaison donne lieu à moult rumeurs et autres coups d’éclats, car il faut bien que le monde du football garde son emprise sur nos esprits, et que les journaux spécialisés continuent de vendre. La période en cours ne déroge pas à cette règle. Cette année 2009, le principal coup d’éclat a été le transfert de Christiano Ronaldo au Real Madrid, pour un montant record. Quant aux rumeurs et aux nouvelles qui tombent tous les jours, il y en a une foule, et il suffit de suivre l’actualité pour se tenir au fait.
Au-delà de ces marronniers, il y a le feuilleton Samuel Eto’o. Auteur d’une saison exceptionnelle, ce buteur ultraprolifique a explosé toutes les statistiques avec le FC Barcelone cette année. Cette saison tout feu tout flamme a été conclue le 26 mai 2009 par un but en finale de la CL qui, d’après Sir Alex Ferguson, décida à lui seul du sort de ce match.
Au vu de cette performance, tout le monde s’attendait à ce que les dirigeants du Barça célèbrent comme il se doit leur buteur. Mais nous avons assisté, éberlués, à un concert de dénigrement plutôt déroutant, pour ne pas dire écœurant.
M. Aitor Txiki Begiristain, secrétaire technique du FC Barcelone, avait dégainé dès avant la fin de la saison, en déclarant qu’à la même position que Samuel Eto’o, Ibrahimovitch marquerait cinquante buts par saison. Génial pour l’ambiance dans le vestiaire ! Dans n’importe quel club, M. Begiristain aurait été rappelé à l’ordre. Mais M. Laporta resta silencieux, et pour cause : il pensait la même chose.
Signalons l’incroyable manque de responsabilité des dirigeants du Barça (ou leur incompétence crasse, au choix) : mettre une telle pression à votre meilleur buteur alors qu’il vous reste à jouer des matches cruciaux, cela relève en effet de la stupidité la plus ectoplasmique. Mais passons.
Pour Samuel Eto’o, la fin de saison était désormais inscrite sous le signe de la défiance. Heureusement pour lui, le Camerounais est un monstre mental, et il ne se laissa pas distraire par ces manœuvres d’avant mercato. Il acheva la saison en beauté, contribuant à offrir à des dirigeants dont il connaissait pourtant la méfiance un triplé historique.
Les trois trophées à peine rangés dans l’armoire du Barça, M. Guardiola s’empressait de déclarer à qui voulait l’entendre qu’il ne comptait plus sur son meilleur buteur ! Quelques jours plus tard, M. Laporta déclarait tout son amour à Ibrahimovitch le milanais. Les médias français, qui n’oublient jamais de renverser leur loupe lorsqu’ils regardent l’Afrique, avaient l’outrecuidance de concocter d’insultantes équations, dans le genre « Benzema = Eto’o + 30 millions d’euros ! »
Dès lors, le comportement des dirigeants de Barcelone n’a cessé d’interroger l’observateur. Quant à moi, j’ai beau retourner l’affaire dans tous les sens, je n’y vois aucune construction logique. Car la raison eût voulu que le Barça, soit négocie rapidement et dans la dignité la vente d’un joueur de 28 ans à qui il ne reste qu’un an de contrat, soit prolonge ledit contrat, avec à la clé une augmentation de salaire correspondant au rendement du joueur dans le club. Rien de tout cela. A la place, on assiste à un déballage quotidien dans la presse, les responsables de Barcelone tenant à propos de leur joueur des propos qui suintent d’un mépris incompréhensible.
Le mépris, il est dans cette déclaration de Laporta : »Eto’o a reçu une offre stratosphérique de Manchester City ». Alors que, d’après M. Mesalles, l’avocat du joueur, il n’en est rien. C’est le Barça qui a reçu cette offre, à laquelle ses dirigeants n’ont pas donné suite, sous prétexte qu’ils attendaient des nouvelles d’Eto’o. Dans le même temps, ils lui proposaient (par sms !) une prolongation de contrat sans augmentation de salaire. En clair, d’un côté, ils proclamaient une fausse nouvelle, et de l’autre ils faisaient une offre en s’arrangeant pour qu’elle soit rejetée.
Le mépris transpire de ces propos puérils de Laporta (encore lui) : « Je n’arrive pas à joindre Samuel au téléphone. Peut-être a-t-il perdu son portable ? » Et le journaliste en face de se bidonner. Inutile de commenter cela.
Le mépris exsude de cette sortie de Cruyff (qui a perdu une occasion de se taire) : « 95 % du Barça est déjà en place, le reste ce sont des détails. » Un détail qui a marqué 30 buts en une saison, un détail qui a débloqué à lui seul une finale de CL, un détail qui a abattu un travail surhumain pour votre équipe, et qui lui a donné sa meilleure séquence depuis sa création. Beaucoup de clubs aimeraient s’attacher un détail comme celui-là.
A propos, parlons des autres clubs. Manchester City déclare aujour’dhui : « Nous donnons jusqu’à lundi à Eto’o. » Cet ultimatum pue le mépris, encore et toujours le mépris. Les dirigeants du club anglais n’ont même pas l’excuse de l’ingénuité, car ils savent très bien à quel jeu leurs collègues du Barça se livrent. En participant à cette curie médiatique, ils montrent simplement que, pour eux aussi, le statut de l’Africain s’est bloqué à la période coloniale, sinon avant.
Depuis que le marché du football existe, ce scénario est inédit. Même dans ce milieu où se jouent des sommes qui donnent le tournis, il est de coutume que les choses se fassent dans la discrétion et la dignité. Les transferts de Benzema et de Christiano Ronaldo se sont déroulés sans que personne ne sache rien des coulisses. D’autres transferts se déroulent en ce moment même, dans les règles de l’art. Pourquoi les détails concernant le transfert de Samuel Eto’o, l’un des tous meilleurs joueurs au monde, sont-ils étalés dans la presse au jour le jour ? Pourquoi les dirigeants du Barça ont-ils décidé de détruire volontairement l’image médiatique d’un joueur qui leur a tant apporté ? Nous aurons un jour la réponse à ces questions.
En attendant, un homme observe la scène. Cet homme, dont l’esprit n’est pas pollué par des considérations extra-sportives, est l’un des meilleurs techniciens au monde en matière de football. Cet homme connaît la valeur de Samuel Eto’o. Cet homme s’appelle Sir Alex Ferguson.