Pendant une vingtaine d’années, c’était magique, la période des fêtes de fin d’année! Entre Trois-Rivières et Donnacona, le long du Saint-Laurent, sur l’ancienne Route 2 qui reliait Montréal à Québec, cet univers perclus de froidure et littéralement enfoui sous des tonnes de neige diaphane, la vie s’arrêtait dans la cuisine de ma belle-mère, à Sainte-Marthe-du-Cap-de-la-Madeleine.
Le rituel ne changeait jamais après la messe de Noël à la Basilique du Cap-de-la-Madeleine, plus à l’Ouest. Perdrix aux choux, gâteau blanc glaçage café, meringue glacée, fendant du valais. C’était la courte échelle garantie vers le paradis des saints gourmands !
Le scribe du football que je suis devenu par mégarde a parfois, comme en cette fin d’année 2011, de très longues heures. Renoncer aux douceurs prodiguées par l’amphitryon qu’a été ma belle-mère pour se faire servir, ad nauseam, l’insipide brouet que procurent depuis des années le football camerounais, la Fécafoot, le MINSEP et une vaste foule d’étourdis et de pauvres hères qui croient vraiment que le football est capital dans la vie du pays, était-il, je vous demande, raisonnable ?
Au hasard, je vous assène une nouvelle : M. Makoun et M. Angbwa, joueurs de football, viennent de démissionner de l’équipe nationale. C’est pas rien, ça, non ? D’autres nouvelles : M. Eto’o a été suspendu de la même équipe nationale ; M. Mveng s’est fâché parce qu’on ne lui aurait pas baisé les pieds ; M. Tombi sait vraiment lire, à défaut de savoir payer une note d’hôtel ; la fédération algérienne de football a offert de payer les primes de présence des joueurs camerounais ; la rue menace de se révolter à la suite de la suspension de M. Eto’o, grand bienfaiteur du Cameroun et accessoirement chef de gang ; l’État du Cameroun, pratiquement indigent, verse des centaines de millions à quelques citoyens dont le seul mérite est de savoir courir derrière une boule de cuir.
Alors, heureux ? Chiche alors ! On le serait à moins : nous sommes une grande nation de foot, qu’on se le dise ! Soixantième au hit-parade mondial, mais que nous importe ? Nous n’avons que des sélectionneurs blancs, nous, Monsieur ; nous ne sommes pas le Sénégal, quand même ! Nous avons Batamack, Linus, Mveng, Iya et Mayébi (chut !). J’ai oublié Essomba Eyenga ? Nous sommes la tête de turc de tout le monde depuis plus de dix ans, de la Guinée-Équatoriale au Kosovo. Des jaloux, tous ces gens ! Nous réglons nos comptes par virement Western Union, oui, Monsieur ! Et alors ? Nous n’avons pas un seul terrain de football de bonne facture ? Nous en construisons dix à la fois. Sur le papier.
Je vous jure que je suis heureux. Tout va bien au Cameroun. J’ai de temps à autre un peu de vague à l’âme, peut-être parce que ma fille Marianne, qui avait quatre ans en 89, aimait tellement la meringue glacée de sa grand’mère, et qu’elle me manque. Mais, à ce qu’il paraît, ma belle-mère ne voit plus aussi clair, elle se mêle dans ses ingrédients. La perdrix aux choux ne serait plus ce qu’elle a été. Mieux je me résigne. La retraite bientôt à Sipandang, seulement 4 kilomètres à l’est de Ngambé, que M. Eto’o vient d’arroser, devrait être confortable. Après tout, nous avons notre propre Centre de santé intégré, et M. Eto’o n’y est pour rien.