Sipandang, 26 mai. – Le cynisme de l’immense Staline, dans l’affreuse situation où se trouve le monde entier, est une consolation. Ou une béquille sur laquelle s’appuyer ou, pourquoi pas, un refuge. Nous ne savons pas vraiment à quel saint nous vouer. Les plus béats d’entre nous, par exemple, pourraient somatiser leurs peurs et la terreur qui nous tient tous aux tripes en s’accrochant à la croyance que, peu importe le nombre de victimes, Dieu reconnaîtra les siens.
De peur de perdre notre sanité de raison, nous avons besoin de banaliser ou d’occulter l’affreux carnage que nous vivons dans notre entourage et que nous servent ad nauseam les écrans de télévision.
Le monde a pratiquement cessé de tourner pendant trois mois. Je n’ai pas le sens de la formule dont Staline était féru, mais je pourrais proposer une part de cynisme valable en disant tout simplement que, après tout, à quelque chose malheur est bon. Le football est mort et, de ce côté-ci de la Sanaga, nous assistons à son enterrement le cœur bien sec.
J’exagère sans doute un peu, surtout que le Prométhée national du foot, M. Mbombo Njoya, s’emploie à entretenir la flamme d’une activité qui vacille depuis des décennies. Mais laissons les morts enterrer leurs morts, ne tirons pas sur un corbillard et, surtout, ne pinaillons plus sur l’état de santé du foot. L’avatar vertueux de la terrible crise que nous traversons est que, de toute évidence, le foot ne sera plus jamais pareil nulle part, à moyen terme. Le plus réjouissant, pour nous ici au pays, c’est que la fin du tout-football dans nos vies a sonné.
J’en veux pour preuve Me Pensy, avocat au Barreau et homme de médias. « Ça sert à quoi de mettre 2 000 milliards de FCFA sur les stades alors que nous n’avons rien pour soigner des gens qui sont malades ? »
Bonne question, maître. Surtout venant d’un homme comme vous qui pontifie sur la politique et, accessoirement, sur le foot sur les plateaux de télévision depuis des années, qui ne voit pas, n’entend rien de mal, qui ne s’inscrit pas ouvertement en faux contre la ligne officielle, qui sait que les choses ne vont pas bien mais qui ne voudrait pas donner l’impression de le reconnaître. Effet de manche ou non à la télé, le prétoire qu’il affectionne particulièrement, Me Pensy a quand même, enfin, retrouvé le droit à l’indignation.
L’image de deux arènes grandiloquentes sorties de terre à Douala et à Yaoundé est saisissante au double plan de leur inutilité et de la part incroyable réservée au foot dans l’affectation des ressources publiques. Dans le contexte du désarroi des populations et du dénuement perçu des pouvoirs publics, le choix de privilégier le football affiche toute son inanité. Le branle donné par Me Pensy au mouvement d’indignation est-il de nature à enfin contribuer à réduire le foot à la portion congrue ? Ou enfin à amener les pouvoirs publics à trouver un juste équilibre entre le m’as-tu-vu des jeux de cirque et le devoir de protéger et de préserver le bien-être des citoyens ? Voire.
La crise sanitaire que nous traversons, dont les effets s’estomperont vite comme nous l’espérons tous, va nous y obliger. Nous sommes un peuple moderne qui doit riposter par des moyens modernes à toute crise qui menace la population. La prière, oui, mais l’effort d’abord. Nous ne pouvons pas éternellement chercher à conjurer le mal par l’incantation et à appliquer des cataplasmes de feuilles de manioc sur nos plaies. L’espoir que peut susciter la fiole de décoctions de grand’mère que le prélat de Douala nous propose serait mieux entretenu s’il était soutenu par la promesse qu’en cas de coup dur, des formations sanitaires en nombre suffisant adéquatement équipées prendraient en charge les malades dans des conditions acceptables.
Léon Gwod