Il n’y a pas que le foot sur cette terre. Moi qui décidément ne joue pas les arlésiennes sur une feuille consacrée au foot, je prétends que le foot n’est rien dans le pays difficile qui est le nôtre et je recommande avec force, en guise de tranquillisant, de s’en éloigner à la moindre occasion. Par exemple maintenant, à l’approche de la trêve des confiseurs. La fin de l’année, c’est l’heure du luth, de la java, de la polissonnerie et de somptueuses libations. Ce n’est pas l’heure du foot.
Je dois néanmoins avouer que les meilleurs moments que je me rappelle avec le plus de joie sont liés au foot, que j’ai eu le bonheur d’admirer sur trois continents. Mais avec les années, le souvenir du spectacle du foot s’est estompé, et seules les heures de célébration à table restent solidement gravées à ma mémoire.
Je vous ai déjà parlé, j’en suis sûr, de cette extraordinaire queue de bœuf à la polenta lors du Cameroun – Argentine de 1990. De la perdrix aux choux de ma belle-mère. J’ai dû oublier de vous faire sentir le fumet de l’andouillette braisée à la bière qui m’avait éloigné du stade au cours d’une finale de Coupe d’Europe. Et puis, les cailles accompagnées de miondos, rue de Ménilmontant, alors que j’étais censé être au stade. Et aussi, il y a trois ans je crois, via Venetto à Rome, les pennette alla vodka arrosés de sassicaia, et je n’avais pas résisté à la tentation de dribbler ma fidèle Marie restée à l’hôtel et de boycotter M. Eto’o et son Inter en visite au stade de la Roma ou, je ne sais plus vraiment, d’un autre club romain.
La bouffe et l’amour, il n’y a que ça qui reste. Je suis tombé amoureux mille fois sur un tendron de veau, un mbongoo machoiron, une soupe de moules ou un simple steak frites. Sous l’influence d’un bourgogne ou d’un lynch-bages, mon pauillac favori, devant un rond de roquefort sur un tournedos, peu importe, la bourgeoise ou la midinette qui passe montée sur des hauts-reliefs primesautiers, c’est l’amour. Ah ! les oaristys ! Je ne suis jamais tombé amoureux au football.
Je vous propose donc l’amour. Une daube toute simple, un vieux plat français qui se rapproche des ragouts de chez nous, qu’on fait cuire longtemps, six heures au moins, soit trois matchs de foot d’affilée, et qui laisse donc le temps à l’amour.
Il faut absolument disposer d’une marmite de fonte dont on tapisse les flancs avec des couennes de lard. Deux kilos de bœuf (macreuse, collier et culotte) découpés en morceaux que vous faites mariner dans un bon vin rouge avec des oignons, des carottes, du laurier et un peu de pèpè. Ail, échalotes (beaucoup, j’aime), persil. Le reste est tout simple : sur le fond de la marmite, déposer une couche de viande de bœuf. Puis une couche d’un hachis de persil, d’échalotes et d’ail. Ensuite une autre couche de viande et de hachis, et ainsi de suite. Recouvrir le tout de couennes de lard et fermer la marmite.
Laisser monter à ébullition, puis faire mijoter à feu très doux pendant au moins six heures. Mettez-vous à table le lendemain, après avoir réchauffé la daube. Elle est encore meilleure le surlendemain.