Il n’y a donc aucune sorcellerie à entraîner les Lions indomptables du Cameroun. Jacques Songo’o, désigné à la tête de l’équipe nationale provisoirement et dans un épais brouillard, en a administré la preuve mercredi dernier en allant battre, et avec la manière, la Pologne à domicile.
Ce ne fut pas une victoire de chance : l’équipe de Songo’o, dans un système en 4-4-2 que les joueurs réclamaient en vain depuis un an, a bien joué au ballon, et le coaching du sélectionneur provisoire a été excellent et payant ; on a même redécouvert à l’occasion que l’on pouvait aussi accorder pendant un match du repos au meilleur joueur camerounais de l’heure, Samuel Eto’o, redevenu l’arme fatale une fois placée dans des conditions idéales de jeu.
Il y a bien longtemps, depuis la «Dream Team» de Pierre Lechantre du début des années 2000, que l’on n’avait pas vu les Lions indomptables dominer autant leur sujet et remporter nettement le match : 3-0 sans bavure, qui aurait même pu être 4-0 si l’arbitre de ce Pologne-Cameroun n’avait pas été un peu sévère pour refuser le quatrième but camerounais à Bienvenu Ntsama, qui fêtait sa première sélection et touchait son premier ballon sous le maillot vert du Cameroun dans cette action de jeu. Ce n’est évidemment pas le moment de verser dans l’euphorie après un seul match. Mais n’oublions pas d’où l’on vient et le contexte dans lequel nous évoluons : une Coupe du monde 2010 catastrophique pour les Lions indomptables en dépit du pont d’or fait à leur entraîneur, Paul Le Guen, finalement d’une incompétence caractérisée. Et une vacance de pouvoir inexpliquée qui s’en suit après le départ logique de l’intéressé, les autorités nationales du football s’en donnant à cœur joie à un rodéo qui n’amuse plus personne, entre des missions avancées en Europe à la recherche de l’oiseau rare et la nomination inutilement retardée du prochain sélectionneur.
Dans leur for intérieur, les responsables du football camerounais, en confiant l’intérim à l’ancien gardien international Jacques Songo’o, s’attendaient sans doute à valider facilement leur option de toujours se retourner vers un entraîneur blanc. «Vous avez alors vu, on vous avait dit !», devaient-ils se mettre à chanter si le coup d’essai de Songo’o avait foiré. D’ailleurs, dans les médias nationaux, on s’est évertué ces derniers temps à claironner que l’équipe du Cameroun était sans entraîneur, alors que Songo’o est bien là, désigné dans les conditions que l’on sait pour gérer ne serait-ce que le match amical en Pologne le 11 août, avec une liste de joueurs qui lui a été manifestement dictée. Une mesure qui ressemblait fort à un cadeau empoisonné pour cet homme sans histoire qui, en terme de pedigree personnel (près de deux décennies de carrière internationale, deux Can et une Liga espagnole remportées) peut regarder par exemple un Paul Le Guen de haut. En trois jours et au terme d’un match de qualité des Lions indomptables, celui que l’on pourrait appeler avec à propos «la force tranquille» a confondu ceux qui lui ont tendu le piège, et représente désormais un gros embarras pour le comité des sages chargé de shortlister les candidats au poste de sélectionneur du Cameroun et pour le pouvoir politique de notre pays qui continue, avec une rage incroyable, à se mêler de ce genre de questions qui ne revêtent aucun caractère mystérieux ailleurs.
Quels arguments ceux là vont-ils encore utiliser pour tenter de faire accepter leur politique éculée et absurde de confier les rênes de la sélection nationale de football à un étranger, maintenant qu’a volé en éclats un mercredi soir sur la pelouse de Szczecin leur thèse qu’ils croyaient en béton selon laquelle un technicien camerounais n’aura jamais assez de personnalité pour diriger un groupe de joueurs professionnels et de stars ? Car même en se laissant influencer pour la composition de sa liste des joueurs convoqués, l’ancien portier de Dragon de Douala, Canon de Yaoundé, Toulon, Metz et La Corogne a démontré en 90 minutes seulement des qualités indéniables de meneur d’hommes, de gestionnaire rationnel des ressources humaines à sa disposition et surtout de connaisseur du football.
En fait, les Lions indomptables n’ont pas besoin d’un nom ronflant ou pistonné au plus haut niveau des Etats, qui va coûter une fortune au contribuable camerounais. Ils ont juste besoin d’un cadre qui a un vécu important dans le football de haut niveau, qui connaît le football en général et le football camerounais en particulier, et peut rester concentré sur son job pour transmettre sa vision à de bons footballeurs en activité appelés à défendre les couleurs de leur pays. Et, malheureusement pour les tenants de la thèse de l’infaillibilité de la piste des sélectionneurs Blancs, des Jacques Songo’o, il y’en a un paquet au Cameroun.
Par Emmanuel Gustave Samnick