Pour la première fois, au Cameroun, la tyrannie du tout-football a accouché d’un fait globalement positif. Joseph Antoine Bell, de gardien de but à gardien de la tradition, reste dans son rôle de rempart ultime sur un terrain d’intrigues, d’irrégularités, de mauvais jeu et où, on l’oublie souvent, la solidarité et l’engagement vers un objectif commun sont les principaux gages de succès. Joseph Antoine a les mains généralement sûres ; il n’est certainement pas un mauvais choix.
Cela dit, la désignation d’un chef coutumier par un fonctionnaire de l’administration centrale me soucie quelque peu. L’évolution au Cameroun depuis de longues années, avatar sans doute du parti-État, a consacré une dérive dangereuse qui enlève à la tradition ancestrale sa prééminence en matière d’intronisation de nouveaux chefs. En pays basaa était chef le fils héritier du chef. Ou –et c’est important de garder cela en mémoire- le cousin, l’oncle ou le « nyandom » le plus proche de la famille royale ou le plus apte. Les « nyandom » ont toujours eu des droits reconnus sur la terre et sur le trône du pays de leur mère ou de leur grand’mère.
J’ai le sentiment que la concertation qui, à ce qu’on dit, a eu lieu dans la maison restreinte Bell eût sans doute gagné à être plus élargie. Après tout, ma grand’mère, avant de monter plus à l’est cultiver la canne à sucre, était une authentique fille de Mwandè. On ne m’a pourtant rien demandé. Par ailleurs, au sujet du choix de Joseph Antoine par la famille toute proche, je peux vous faire une confidence : non seulement Joseph Antoine n’est ni le premier ni le deuxième ni le troisième des enfants Bell, mais il y a dans cette maison une Ngo Bell qui, je vous le dis, n’est pas quantité négligeable.
On ne peut pas laisser le trône tomber en quenouille en pays basaa, me direz-vous, n’est-ce pas ? Six kilomètres à vol d’oiseau plus à l’est de Mwandè, à Sipandang, ma propre cousine, consul honoraire à Douala d’un grand pays européen, est pourtant toujours solidement calée sur le trône de chef de ce grand village. Mwandè a choisi son chef, et je me prosterne bien bas devant lui, mais je ne peux pas m’empêcher de croire que mes « nyandom » auraient pu penser à moi.