Sipandang, 21 février 2020. – La crisette qui secoue les deux institutions depuis quelques mois déjà est banale. Ce n’est pas la première fois que la FIFA engage un bras de fer avec la CAF, souvent pour imposer son point de vue, et ce n’est pas la première fois que la CAF fait entendre son mécontentement. Mais les vieilles joutes étaient souvent, il faut le reconnaître, à fleuret moucheté. Cette fois-ci, sabre au clair, la FIFA semble être prête pour l’estocade.
Du côté de la CAF, M. Ahmad Ahmad, dont la principale béquille, M. Samuel Eto’o, n’est pas particulièrement reconnue pour ses choix judicieux, ne semble avoir pour parade que la vieille antienne mille fois rabâchée du méchant loup blanc occidental qui veut imposer sa volonté au pauvre Noir indigène d’Afrique.
La situation est la suivante : la CAF est fauchée. Son principal instrument de financement est, selon son principal dirigeant, la CAN à 24 équipes organisée tous les deux ans. La FIFA est riche et généreuse, mais s’agace non seulement de constater que les ressources qu’elle prodigue ne semblent pas toujours servir aux buts visés, mais également de la morgue sans points d’appui valables que la CAF exhibe chaque fois que sa probité fiduciaire est mise en doute.
De quoi s’agit-il, en fait ? La CAF entend organiser la CAN tous les deux ans ; la FIFA souhaite que cette manifestation se tienne tous les quatre ans. Je crois que le boutefeu n’est pas vraiment là. Le vrai problème, c’est le financement du football en Afrique, et particulièrement en Afrique noire. La FIFA ne veut plus se laisser faire.
Et pourquoi n’aurait-elle pas le droit de se rebiffer, je vous demande ? Je vous rappelle qu’elle a versé plus de 50 millions de dollars à la CAF sur les deux années passées. Et je vous assène une autre vérité : près de la moitié de cette somme ne semble pas avoir été utilisée aux fins prévues et, pire encore, personne ne sait vraiment où est passé cet argent, même si on sait bien qu’il n’a jamais été perdu pour tout le monde. La FIFA a parfaitement le droit de se faire entendre. Moi-même, lorsque je mets 50 millions dans une affaire, il ne faut pas me chercher. Parce que si on me cherche, on me trouve.
Organiser une CAN à 24 équipes tous les deux ans est une sottise et doit être combattu
Le financement du développement en Afrique noire est une véritable gageure. Les États africains, un peu sur fonds propres et beaucoup sur les ressources prêtées par les bailleurs de fonds, s’emploient tant bien que mal à construire des routes et des hôpitaux et, hélas ! à organiser et à financer une activité sociale comme le football. En Afrique, le football est surtout financé par l’État. On peut se demander à quoi servent donc la CAF et les fédérations nationales, qui ont justement pour mission d’alléger le fardeau qui continue de peser sur les États africains en trouvant des financements privés.
Le coup de bluff du poker menteur que constitue la CAN est de faire croire aux gogos que l’organisation de cette compétition est un important vecteur de développement dans nos pays. Ce qui est faux. Deux ou trois nouveaux stades, quelques voies de desserte, un hôtel ou deux, quelques plats supplémentaires de ndolé et de poisson braisé, quelques hectolitres de bière supplémentaires, et c’est pratiquement tout. Je crois fermement que la construction d’une route moderne entre Kribi et Ebolowa, par exemple, est de nature à impulser un développement concret dont les effets se feraient sentir des décennies durant. Ce que la présente CAN, qui nous met dans les câbles, n’offrira jamais.
En fait, les États organisateurs s’endettent, et la CAF disparaît avec la caisse. Pensez donc : tous les deux ans, des États sans le sou, pratiquement incapables d’améliorer l’ordinaire de leurs populations, vont distraire des ressources considérables de fins nobles de développement économique et humain pour les affecter à des jeux de cirque. Pour mémoire, des 45 États relativement viables en Afrique, seuls 4 ont la capacité d’organiser une CAN nouvelle formule sans trop de casse.
Organiser une CAN à 24 équipes tous les deux ans est une sottise et doit être combattu. Non seulement cela concourt-il à défriser encore plus le blason d’un trophée qui peine à s’imposer sur la scène internationale, mais cela crée également un fardeau intolérable sur nos États. La CAF et les fédérations nationales ont pour mission de se substituer à terme aux États en amenant le secteur privé, qui profite du foot, à prendre en charge le financement de cette activité. Cela, malheureusement, ne semble pas être près d’arriver chez nous, où la Fécafoot et les fonctionnaires continuent d’entretenir la vulgate du tout-État dans le foot.
J’en veux pour preuve les mauvaises manières qui ont été réservées au général Semengue ces derniers temps. En acceptant de diriger la Ligue nationale de football professionnel en dépit de mes conseils, le général s’est attaqué à une entreprise plus redoutable que la ZOPAC en Sanaga-Maritime dans les années 1960. Il a été mis à la porte par la Fécafoot pour avoir engagé une réforme sensée et fondamentale consistant à contraindre les clubs de football à se constituer en société pour recevoir les subsides de l’État. L’exigence d’une certaine transparence et d’une dose minimale d’accountability pour l’utilisation de ressources publiques n’a pas plu.
Léon Gwod