Quel que soit l’angle sous lequel on considère la chose, 73 millions de francs, ça fait des sous. Cette fameuse prime a été un boutefeu permanent dans l’histoire des Lions. Nous avons, sur ces pages, milité en faveur du versement sans condition de cet argent. Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas, à l’occasion, s’émouvoir et réfléchir sur la chose.
Ce serait trop facile, évidemment, de mettre en relief le traitement de faveur qui est accordé à quelques Camerounais qui savent taper sur un ballon, qui font donc leur travail normalement, par rapport à la multitude d’autres, tout aussi dévoués et performants, qui ne reçoivent rien. Faire son travail correctement n’a a priori rien d’extraordinaire qui mérite un surcroît de reconnaissance.
Gagner un match de football est un critère d’évaluation de la compétence des joueurs. Opérer une hernie, arracher une dent, soigner une plaie, enseigner la règle de trois, etc. avec succès, sont autant de marques de compétence qui n’appellent pas une reconnaissance pécuniaire particulière.
Il est important, s’agissant de la prime versée aux footballeurs, prime tout à fait légitime puisque c’est la pratique généralisée, de cesser de croire qu’elle est due parce que ces garçons jouent pour le Cameroun. Cela n’est pas tout à fait vrai. Et même si cela était avéré, en quoi cela les distinguerait-il de M. Ze Meka, par exemple, notre ministre des armées qui aurait déjoué un coup d’État susceptible de déstabiliser tout le pays ? Le ministre a reçu combien en prime de succès anti-putsch ?
Nos Lions jouent sous les couleurs de notre pays parce qu’ils ne peuvent pas jouer pour l’Azerbaïdjan. C’est clair. Par ailleurs, le Cameroun ne demande à personne de jouer pour lui. Le Cameroun demande simplement ceci à chacun de ses citoyens : fais bien ton travail, aime ta femme ou ton mari et prends soin de tes enfants. Si on fait cela, on fait tout pour le Cameroun. Gagner un match de football pour un footballeur, c’est bien faire son travail. Point.
Alors, pourquoi militer pour le paiement de la prime dans ces circonstances ? Parce que ces garçons nous tiennent. Cette prime n’est rien d’autre qu’une rançon que nous acceptons de payer, alors que les maîtres chanteurs d’en face n’ont rien de concret qu’ils tiennent en otage. Non, en fait, si : ils tiennent en otage notre amour pour le football, notre soif pour la victoire, notre crédulité. Ils nous tiennent par les sentiments, et c’est d’autant plus terrible que même lorsqu’ils bafouent notre amour, lorsqu’ils nous déçoivent, lorsqu’ils nous font mourir de mille morts, ils ne nous doivent jamais rien. C’est tout à fait injuste.
Alors, pourquoi ne serions-nous pas en droit d’exiger une contrepartie pour la rançon que nous acceptons de payer ? Comme la défaite est certainement un signe de mauvaise performance, les travailleurs du football devraient être aussi, à leur tour, tenus de nous payer pour le préjudice potentiel. J’ai l’impression que c’est une idée qui serait de nature à fouetter le dynamisme et l’engagement de quelques-uns de nos garçons.