Abidjan, 2 septembre – Deux ans, un siècle donc, que je n’étais pas venu. La transformation d’Abidjan, il y a quelques années ville relativement policée, ordonnée et agréable à plusieurs égards, en un cloaque nauséabond et clochardisé, est totale. Abidjan croule sous le double poids d’une hausse vertigineuse de la population et de l’impitoyable rouleau compresseur de la violence. Des gens en armes partout ; des hordes de gamins aux principaux carrefours ; routes défoncées, immondices. De plus en plus, un nouveau Douala-sur-Lagune prend violemment corps. Il y a urgence, c’est clair.
Mais même blessée et enlaidie, cette ville reste encore l’une des localités les plus attachantes d’Afrique. Les Ivoiriens continuent de brûler des cierges à la déesse de la joie et, en dépit de la résolution avec laquelle la nouvelle administration mène la guerre aux hauts-lieux de l’ambiance (la Rue Princesse par exemple, à Yopougon, a été entièrement rasée – j’en ai eu les larmes aux yeux), Abidjan continue d’offrir les nuits les plus polissonnes, les restaurants les plus étonnants et les bars les plus pittoresques de tout le continent.
Mais ce n’est pas uniquement cette furieuse envie de vivre dans la joie chez les Ivoiriens qui m’attire, et qui d’ailleurs attire les Camerounais, et qui me fait regretter les trois délicieuses années que j’ai passées à Abidjan. Au Che Café par exemple, en Zone 4, où j’ai mes habitudes, à Happy Hours, au Plateau, où le bâton de Siglo IV de Cohiba à 35 000 francs est de rigueur, on est étonné, dans cette ambiance de délicieuse décadence, de surprendre des groupes de consommateurs, réunis en véritables comploteurs, échafauder des stratégies et commenter un événement auquel les Camerounais accordent chez eux à peine un sourire entendu : l’élection à la tête de la Fédération ivoirienne de football.
La FIF, la Fécafoot des Ivoiriens, va élire son prochain président, après un règne d’à peine dix ans de M. Anouma, le président sortant. Je me rappelle l’élection de M. Anouma et la campagne qui l’avait conduit à la présidence de la FIF. Une vraie guerre, dure, onéreuse, mais loyale et ouverte. Contre M. Dieng Ousseynou, inamovible, vieux de la vieille rompu aux méthodes « camerounaises »…
Sur la foi de ce que j’entends et vois depuis une dizaine de jours, cette élection est âprement disputée. Des spots à la télévision, d’énormes encarts publicitaires dans les journées, des posters bien en vue aux grands carrefours. Les deux principaux candidats, M. Bictogo et M.Sidy Diallo, présentent chacun une liste, photos à l’appui. Les Ivoiriens, les veinards, ont ainsi le luxe d’élire et un président et une équipe dont ils connaissent parfaitement les membres. On se prend à rêver…
Dans la communauté camerounaise, il n’y a vraiment pas si longtemps que ça, on avait coutume de dire que Ivoirien ne connaît pas papier. Que Ivoirien ne connaît pas ballon. Question papier, ça reste difficile à trancher, mais nous savons que Ivoirien connaît ballon. Et moi, je vous dis que Ivoirien connaît élection.
Leonidas Ndogkoti