Le nouvel entraîneur sélectionneur national de football, qui remplira également les fonctions de directeur technique national, l’Allemand Otto Pfister, est donc arrivé au Cameroun et a été installé par le ministre des Sports et de l’Education physique.
Par Emmanuel Gustave Samnick
C’est l’épilogue d’un long feuilleton qui a débuté avec la démission peu orthodoxe du Hollandais Arie Haan en février dernier. Le débat n’est donc plus de savoir qui sera ou bien qui est le nouveau patron technique des Lions indomptables. Mais l’on doit continuer à s’interroger sur cette exception camerounaise, qui veut que, contre toute logique et contre le bon sens commun, la nomination de l’entraîneur national de football devienne une affaire d’Etat, une histoire trop compliquée.
Nulle part au monde en effet, ni au Togo, ni au Bangladesh, on a vu le poste de sélectionneur national de football rester vacant pendant un seul mois. Un seul ! Au Cameroun, on avait déjà attendu huit mois pour désigner le successeur de Artur Jorge, démissionnaire après la Coupe d’Afrique des nations de janvier-février 2006. C’est le même temps qui s’est écoulé pour que soit connu le successeur du technicien néerlandais, lequel a rendu son tablier en février dernier.
Pourquoi tout cela ? Eh bien, parce que le choix effectué par le ministre en charge du sport (une autre exception camerounaise) doit revêtir les visas des services du Premier ministre et des services de la présidence de la République. Et pourquoi ces visas ? Eh bien, parce que dans la conception de ceux qui croient être l’incarnation de l’Etat, seules les instances gouvernementales et le pouvoir suprême du pays sont à même de savoir ce qui est bien pour les Camerounais. Seules les personnes nommées par décret peuvent avoir le sens de l’intérêt général, le patriotisme, et le sens du devoir au point de faire le bon choix pour notre très chère équipe nationale de football.
Il s’agit là, à notre avis, d’une vision du passé et même dépassée. Le décret présidentiel de 1972 organisant l’équipe nationale de football ne statue d’ailleurs que sur les cas de l’équipe seniors et de l’équipe juniors, alors que le Cameroun possède aujourd’hui des équipes nationales dans les catégories seniors, A’, espoirs, juniors, cadets et minimes.
Ce texte est donc, en lui-même, rendu obsolète, et mérite un gros toilettage. Ceci d’autant que la loi de 1996 portant charte des activités physiques et sportives avait apporté des avancées qui sont aux antipodes des prescriptions du décret de 1972. Laisser le chef de l’Etat continuer à nommer l’entraîneur national de football (qui a rend de sous-directeur dans l’organigramme du ministère des Sports), alors qu’il n’intervient pas pour la désignation des entraîneurs nationaux dans les autres disciplines, c’est rendre forclose la curieuse réclame que Paul Biya a laissée lui-même en héritage à tous ceux qu’il élève à la fonction de ministre en charge du sport : « il n’y a pas de sport majeur ni de sport mineur ». Sinon, que la « très haute hiérarchie » se tape donc aussi huit mois de consultations pour nommer l’entraîneur national de tir à l’arc ou du badminton…
Il y a en plus quelque chose de contradictoire dans cette approche présidentialiste de la question du recrutement de l’entraîneur national de football. On ne peut pas brandir l’argument selon lequel l’équipe nationale étant un patrimoine national sa gestion ne peut incomber qu’à ceux qui incarnent l’autorité de l’Etat, et en même temps faire valoir la préférence internationale pour occuper la fonction de sélectionneur national. Le brin d’objectivité que l’on veut coller au choix systématique du « Blanc » pour entraîner nos Lions indomptables ne résiste ni à l’analyse ni aux faits historiques.
Dans un pays dont les pouvoirs publics financent un Institut national de la jeunesse et des sports comportant un module de formation des « entraîneurs de haut niveau » et des bourses de formations à l’étranger de ses cadres techniques, on veut nous faire croire qu’il serait suicidaire de nommer un entraîneur camerounais à la tête de l’équipe du Cameroun de football, parce que ce dernier pourra difficilement se départir de sa subjectivité et ses compatriotes ne lui pardonneront jamais le moindre faux pas. C’est une fausse esquive parce que tous les sélectionneurs du monde travaillent sous pression ; ce ne sont pas ceux du Brésil, de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie qui nous démentiraient.
Celui qui a peur des critiques des médias, des huées de la foule, n’a qu’à changer de métier, car au football il s’agit d’une réalité permanente. Et des Camerounais ont déjà eu à diriger la sélection nationale sans que le ciel leur tombe sur la tête : Raymond Fobete à la Can 70, Jules Nyongha à la Can 96, Jean Manga Onguene à la Can 98, Jean-Paul Akono aux Jeux olympiques 2000. A côté, des expatriés ont déjà eu à essuyer toutes sortes de critiques et même de violents rejets populaires, tels que Claude Le Roy à ses débuts en 1985, Philippe Redon en 1992, Henri Michel en 1994 (qui n’a même plus jugé utile de passer par le Cameroun après le fiasco de la World Cup), Henri Despireux en 1996, et Winfried Schäfer de 2002 à 2005.
La vérité est que le poste d’entraîneur des Lions indomptables est un marché public au Cameroun que d’obscurs lobbies se battent pour contrôler. Ils ont réussi à créer une instabilité permanente à la tête de cette équipe en juin 2001, alors que tout semblait baigner dans l’huile avec la « Dream Team » de Pierre Lechantre. Le lobby parrainant le dossier de Otto Pfister vient de l’emporter au douzième round par arrêt de l’arbitre dans un combat où tous les coups sont permis. Un coup de force susceptible de prolonger la traversée du désert ou de parvenir à un résultat positif inespéré, ce qui aura le malheur d’entretenir l’arbre qui cache la forêt. Or, c’est d’une déforestation dont le football camerounais à finalement grand besoin.
Emmanuel Gustave Samnick, Mutations