La petite crisette disciplinaire qui secoue actuellement l’entourage des Lions à Yaoundé ne vaut pas, ce me semble, les passions qu’elle déchaîne. On a déjà assisté, chez nous comme ailleurs dans le monde, à des tentatives d’embastillement de footballeurs lors de grandes compétitions ; on a déjà vu de grands joueurs s’affranchir ouvertement de la tutelle des encadreurs ; on s’est étendu à l’envi sur les vertus de l’interdit et de la discipline pure et dure au sein d’équipes de football. Ce qui se passe à Yaoundé n’a donc rien de particulier.
Rien de singulier ni de nouveau, vraiment, s’agissant du principal protagoniste de l’affaire, Samuel Eto’o Fils. Les accrocs à la discipline et à l’esprit d’équipe qu’on lui attribue depuis bientôt dix ans sont bien connus. Ces écarts, supposés ou réels, ont-ils été de nature à faire dérailler la carrière qu’on lui prédisait ? Mieux : peut-on honnêtement attribuer à son comportement les échecs que les Lions ont connus ces dernières années ?
Le débat sur la discipline et le comportement a éclaté sur la scène du football en 1994, lors de la Coupe du monde de football aux Etats-Unis, que je couvrais pour la première fois à titre de correspondant accrédité. Bora Milutinovic, qui dirigeait l’équipe américaine comme une petite armée en campagne, avait proscrit le petit verre de remontant au bar et le zizi panpan. Pendant des semaines, à la télévision et dans les magazines, il n’avait été question que des vertus de l’abstinence sexuelle, du sommeil et de l’eau plate. Pourtant les finalistes de cette compétition, à savoir le Brésil et l’Italie, comptaient dans leur rang les pires noceurs du tournoi.
Le Brésil a-t-il perdu la dernière Coupe du monde à cause des nuits alcoolisées de ses joueurs et l’Italie l’a-t-elle gagnée parce que ses joueurs pouvaient recevoir qui ils voulaient, en particulier les copines et les épouses ? On ne le saura pas et, à la limite, là n’est pas la question.
La question qui se pose dans le cas des Lions, c’est de déterminer la façon dont il faut appliquer une discipline d’équipe. Il est bien entendu ici que la discipline personnelle, s’agissant d’adultes, n’est absolument pas du ressort ni du ministre, ni de la Fécafoot, ni de l’entraîneur. C’est une affaire personnelle.
Cela étant bien établi, où est donc le problème ? Eto’o, pour s’en tenir à lui seul, reçoit quelqu’un dans sa chambre aux heures où il n’est pas à l’entraînement, et cela crée de l’émoi ? Qu’il rentre un peu tard, joue aux cartes ou à un autre jeu chez lui, et on en ferait une histoire ? L’encadrement des Lions n’a rien à voir avec le comportement en privé des membres de l’équipe et n’a pas le droit de restreindre leur liberté et leur libre arbitre à cet égard.
Je vous demande un peu : pensez-vous que Samuel Eto’o serait là où il est aujourd’hui s’il avait toujours passé ses nuits à cavaler, à boire ou à courir les boîtes ? Non, n’est-ce pas ? Cela ne veut-il pas dire qu’il sait se discipliner, qu’il connaît ses limites et qu’il sait où il veut aller ? L’idée, saugrenue au demeurant, qui veut que le comportement de Samuel Eto’o soit de nature à saper le moral de l’équipe ne tient pas. C’est ridicule de penser cela.
Les membres des Lions savent très bien qui est qui dans l’équipe. Jamais Alexandre Song n’oserait prétendre aux mêmes prérogatives que Rigobert ; Nkong n’exigerait jamais le même traitement que celui qui est réservé à Njitap. Cette différence doit exister, car elle suscite auprès des plus jeunes un désir d’affirmation et de progression. Elle ne suscite ni jalousie, ni ressentiment. Cela, il faut le comprendre.
Le reste n’est rien. Eto’o est une star qui a parfois des caprices de star. C’est la nature de la bête, et c’est ce qui nous fascine et qui nous fait rêver. Ce poète avec un ballon est comme tous les poètes qui finissent souvent, grisés par l’adulation et la dévotion des foules, par poéter plus haut que leur luth. On ne s’en formalisera pas, parce que nous leur savons gré du bonheur qu’ils nous donnent.
Leonidas Ndogkoti