Sur la foi des dernières statistiques, il y aurait moins de 700 000 Camerounais sur les 20 millions que nous sommes à avoir un emploi rémunéré. Si de ce chiffre on enlève les membres du Comité exécutif de la Fécafoot qui sont rémunérés en toute illégalité, le directeur de la Sodecoton qui ne semble rien diriger ou le directeur de la Sosucam qui importe du sucre au lieu d’en fabriquer, on mesure rapidement le privilège qu’il y a à jouer les Arlésienne sur cette page de journal et l’impérieuse nécessité de préserver ce poste.
Mon avenir comme opérateur de call-box, de sélectionneur des Lions ou de chargé de mission à la Présidence n’est vraiment pas assuré.
Autant donc chroniquer plus vigoureusement. J’en ai pris la résolution devant Marie qui, sans lever les yeux de son ordinateur, m’a demandé de ne pas être trop vigoureux quand même parce que, apparemment, je ne connais pas ma force.
Cela dit, observer la scène du football du Cameroun et la commenter deviennent néanmoins de plus en plus une véritable gageure qui dépasse le niveau des émoluments du scribe. L’intérêt de la chose semble s’estomper à la mesure du délabrement du landerneau. On tourne en rond, on dit les mêmes choses, on stigmatise les mêmes comportements interlopes, la même incurie, la même irresponsabilité. Le jeu du football s’est embelli partout sur cette terre, sauf chez nous où règne, en surplomb, la nature de notre âme de Camerounais.
Quel peuple sommes-nous donc, je vous prie de m’éclairer, lorsqu’on se laisse ravaler au rang de simple spectateur de la chose publique, lorsqu’on laisse une camarilla de comploteurs nous déposséder d’un bien public, lorsque nous savons que tout va mal et que nous faisons comme si tout allait bien ? Le football est notre bien, et il s’en va à vau-l’eau, devant nos yeux, et nous savons parfaitement qui est responsable.
Foin de pleurnicheries donc, je dois signer une chronique et gagner mon bœuf. Mais ce faisant, je refuse d’avaler des couleuvres de la part de qui que ce soit. Je ne monterai jamais dans un cargo militaire dont le commandant ne sait pas qu’il a besoin d’autorisations avant de traverser les espaces aériens de pays étrangers ; je n’irai jamais solliciter un mot auprès de M. Iya qui aurait dû se faire hara-kiri depuis longtemps parce qu’il a globalement échoué et qu’il nuit à la charge qui est la sienne en s’arc-boutant sur un fauteuil auquel il n’apporte que sa décence personnelle ; je ne calculerai plus M. Manga Onguene qui se bouscule devant un avion militaire au lieu d’aller à Yokadouma, comme le commande sa fonction, pour y organiser la pratique du foot. Quant au ministre des Lions indomptables qui ne protège pas le bien public, il suffit d’attendre : s’il a échappé à l’équinoxe, il ne traversera pas le solstice de juin.
Mais on parlera du foot bien joué et d’autres choses roborotatives pour l’esprit et pour le corps. Par exemple, ce fameux jour de Cameroun-Argentine en 1990, lorsque nous pensions et savions que nous avions le foot dans le sang, si je vous racontais par le détail la queue de bœuf accompagnée d’une polenta brésilienne que j’avais confectionnée pour la première fois de ma vie, dans le sud d’Ottawa, vous voudrez peut-être me raconter aussi ce que vous faisiez ce fameux jour-là ?