Le football moderne, on ne le dira jamais assez, est devenu une vaste industrie, dont le chiffre d’affaires s’évalue en centaines de millions d’euros ou de dollars. A côté du spectacle et des résultats sportifs, les gros chiffres font du reste partie de l’actualité du football de haut niveau de nos jours. Les magazines sportifs et les émissions spécialisées, à la radio comme à la télé, et dorénavant les sites d’information et de débat dans la messagerie électronique, nous abreuvent quotidiennement de chiffres mirobolants sur les montants des transferts ou les salaires des stars du football professionnel. Et le public raffole évidemment de ces chiffres avec un alignement des zéro, à l’image des ballons d’entraînement d’un club engagé en Champions League…
Comme il fallait donc s’y attendre, certains s’en sont donné à cœur joie, au cours de la conférence de presse qui a suivi la cérémonie de signature du nouveau contrat de sélectionneur de Paul Le Guen, hier jeudi 17 décembre au palais des sports de Yaoundé, pour harceler le technicien français de questions sur le salaire que lui verse le Cameroun. Il faut dire que les médias nationaux et internationaux, avec toujours en bonne place la presse cybernétique, avaient abondamment préparé le terrain depuis la semaine dernière en publiant les supposés vrais chiffres du salaire ronflant du sélectionneur des Lions indomptables et même le palmarès des entraîneurs les mieux pays en Afrique où Paul Le Guen occuperait le second rang.
Par moments agacés, Paul Le Guen a répondu qu’il ne se reconnaissait pas dans ces chiffres qu’il ne souhaite pas, de toutes les façons, commenter. Il avait déjà dit, lors de sa première prise de fonctions au Cameroun le 27 juillet 2009, qu’il ne demande pas, lui, aux journalistes ce qu’ils gagnent et ne dévoilera donc pas son salaire. Et il a entièrement raison, parce que le contrat de travail est négocié entre un employeur et son collaborateur et son contenu n’a pas vocation à être rendu public, même si dans les sociétés occidentales plus avancées les médias finissent toujours par avoir une idée précise des salaires des cadres dans divers domaines. Mais, tout contrat est synallagmatique, c’est-à-dire ne comporte que des obligations réciproques entre les parties signataires.
Le Minsep, la Fécafoot et Paul Le Guen n’ont donc aucune contrainte de communiquer à des tiers ou au public les termes du contrat du sélectionneur des Lions indomptables. Malgré le précédent d’octobre 2007, quand Augustin Edjoa, le prédécesseur du ministre des Sports Michel Zoah, cédant à la pression de la foule, avait lu à l’hôtel Hilton les termes du contrat qu’il venait de signer avec Otto Pfister : 40 millions par mois et six mois payés à l’avance !
Convenons d’abord que le salaire c’est la rétribution d’un travail, qui tient en compte la valeur des tâches exigées, la performance attendue et naturellement le pedigree de celui qui va occuper le poste. C’est dans les anciens régimes communistes que l’Etat uniformisait les salaires, mais dans un monde libéral, le credo qui est en vigueur c’est : «Qui vaut quoi et qu’est-ce qu’il peut apporter ?» A cet effet, on pouvait légitimement estimer que, pour un Otto Pfister ayant passé 35 ans sans relief en Afrique et dont il fallait être atteint de cécité pour croire qu’il pourrait apporter quelque chose aux Lions indomptables, même un salaire mensuel de 5 millions aurait été excessif, dans un contexte camerounais où le fonctionnaire le plus gradé (hors des corps protégés comme la magistrature et l’armée) touchera difficilement 500.000 F au soir de sa carrière.
C’est aussi l’occasion de rappeler que le travail du sélectionneur de l’équipe nationale de football n’est justement pas un travail de fonctionnaire. Il est spécifique et dépend des paramètres du marché et des enjeux de l’heure. On ne peut pas viser au moins la demi-finale de la Coupe du monde, avec un entraîneur professionnel et compétent qui a retourné une situation désespérée en moins de cinq mois, et se mettre encore à compter les pièces de monnaie, d’autant plus que la seule qualification à une phase finale de Coupe du monde apporte près de 4 milliards de Fcfa à la fédération de l’équipe concernée ! Au moins, ces chiffres sont connus parce que publiés par la Fifa sur son site officiel.
D’une manière générale, même si les gros chiffres avancés peuvent faire des jaloux, les acteurs du football ne gagnent que l’argent que génère le football. On ne rognera jamais le salaire d’un pauvre travailleur camerounais pour gonfler la solde de Paul Le Guen. Et l’Etat camerounais, pour peu que ses dirigeants le veuillent, a les moyens de payer un grand coach dans la perspective de placer son équipe nationale là où le monde entier l’attend, dans le top 5 mondial ; ceci, sans avoir besoin de faillir dans ses autres missions comme par exemple la construction des stades dont nous saluons, au passage, la relance du programme gouvernemental ce week-end avec la pose de la première pierre des futurs stades omnisports de Limbé et de Bafoussam.Débat sans objet donc, que celui sur le salaire de Paul Le Guen, sélectionneur jusque là à succès des Lions indomptables. C’est sur le terrain qu’on l’évaluera, pas dans son porte-monnaie privé.
Par Emmanuel Gustave Samnick