Je crois fermement, contrairement à Salluste, qu’il faut toujours parler de la vertu, même dans notre pays où le sens du devoir, l’avatar ultime de la vertu, n’a aucun sens pour personne. Peu me chaut le degré de moralité avec lequel les princes du pays conduisent les affaires publiques. Ce qui est intéressant, c’est l’apathie avec laquelle des populations entières se résignent à l’échec et l’attendent même avec une certaine délectation.
Il est possible, chez nous, d’exciper de cette apathie populaire pour expliquer la banalité des manquements au sens du devoir. L’échec n’entraîne aucune sanction et n’a d’incidence ni sur le nom ni sur la réputation.
Autrement, comment expliquer la bienveillance et les bonnes manières qui sont réservées à M. Dieudonné Happi, chef d’une énième Normalisation, que l’échec consommé devrait obligatoirement classer parmi les lamentables normalisateurs qui l’ont précédé depuis Maha Daer. Un grand acteur de la scène du foot trouve qu’il a bien fait ce qu’il avait à faire ; un de nos journalistes d’habitude circonspect et plutôt critique est même allé jusqu’à laisser entendre que la prorogation attendue du mandat de M. Happi se ferait à l’insu de son plein gré et de son libre arbitre. Il a été forcé, le pauvre ! Rien que ça…
Jamais, de mémoire d’observateur du foot au Cameroun, je n’ai vu mouilleur reçu avec tant de vuvuzelas et de youyous. Il s’agit pourtant du même Happi, Dieudonné, avocat de son état, qui montrait ses biscotos le jour de sa prise de fonction et qui, la main sur le cœur, promis juré, s’engageait pompeusement à faire son travail dans les délais, sans prorogation. La donne aurait changé entretemps,
dit-on. M. Happi a bien sûr fait son travail, mais voyez-vous, la FIFA aurait décidé que l’État indépendant du Cameroun devait d’abord modifier sa Constitution avant de donner son imprimatur. Monsieur
Happi, un de nos hommes de loi les plus en vue, ne savait donc pas, en acceptant sa mission et les délais prévus, qu’il est préférable que les textes juridiques de la Fécafoot cadrent avec la loi fondamentale
du Cameroun. C’est ce qui s’appelle gâter son nom.
Revenons au sens du devoir. M. Happi ne savait peut-être pas tout au début de sa mission, mais il a bien dû se rendre compte, au cours des six derniers mois, qu’il allait droit au mur. On eût attendu d’un homme de vertu, donc de devoir, dans de telles circonstances, qu’il démissionnât. En ne démissionnant pas, M. Happi s’est menti à lui-même et nous a trahis, nous tous qui avons cru en lui. L’occasion aurait été bonne de faire une scène et de dire enfin, publiquement et avec fracas, que la Fécafoot n’est ni réformable ni refondable et qu’il était temps de cesser d’appliquer des cataplasmes sur une plaie inguérissable.
Mais, hélas ! M. Happi n’a pas eu les cojones suffisamment trempés, bien content de s’agripper à un strapontin qui, ma foi, doit quand même permettre de mettre du beurre dans les épinards. Je sais que M.
Happi sait qu’il a mouillé. Ce n’est pas pour rien qu’il rase les murs depuis un certain temps. Mais c’est rien : qu’il persiste et, d’ici les premières mangues, il va susciter le même dégoût que M. Owona.
Léon Gwod