Ethnocentrisme primaire et raillerie mis à part, il semble tout à fait légitime de se demander comment on peut être malgache et patron d’une entreprise de football. On joue plus ou moins bien au football en Guinée et au Sénégal, et on récolte la vanille à Madagascar. Vu sous l’angle de la tradition et de la coutume, il y a maldonne, bien sûr. Mais c’est vrai, reconnaissons-le, être né dans la Grande-Île ne devrait pas être une tare rédhibitoire.
Monsieur Ahmad Ahmad, comme son nom ne l’indique pas, est pourtant bien malgache et le patron légitime du football en Afrique. Mais serait-ce manquer de respect au nouveau patron que de lui rappeler, par exemple, que l’organisation d’une CAN ne saurait être considérée comme une simple campagne de la vanille dans son île ?
La décision de porter à 24 le nombre d’équipes admises à la CAN est insensée, au double plan de la situation économique et sociale des pays africains et de la qualité du jeu. Je rappelle à mes lecteurs qu’il existe à peu près 48 pays relativement viables dans toute l’Afrique. Mais entre le Cap-Bon et le Cap de Bonne-Espérance et entre le Cap-Vert et le Cap Guardafui, il n’y a que 3 pays parmi ce groupe qui soient en mesure d’organiser sans beaucoup de douleur une CAN nouvelle formule. La Tunisie et le Maroc au nord, et l’Afrique du Sud au sud. Le Nigeria est bien entendu hors-jeu pour le moment.
Ces trois pays ont deux traits communs, à savoir un tissu infrastructurel de bonne qualité et des fédérations de football autonomes, indépendantes et performantes épaulées par un secteur privé actif. Partout ailleurs en Afrique, le football est financé par l’État. Et c’est un facteur déterminant que le patron du football, soucieux de son épanouissement et du sort des populations africaines en général, devrait comprendre et respecter. Le financement massif du football sur les ressources publiques est un choix politique qui vaut ce qu’il vaut. Mais il faut reconnaître que le football ne concourt guère au progrès ni au développement et qu’il ne rapporte rien à nos États.
Alors imposer aux États africains un surcroît de fardeau sous la forme d’un succédané de la Coupe d’Europe en Afrique avec des hôtels de luxe, des autoroutes à six voies, des routes de desserte et des restaurants à tous les étages, est injuste et doit être dénoncé. L’État du Cameroun, il n’y a aucun doute, va trouver les financements qu’il faut, parce qu’il n’a pas le choix, enivré qu’il est de la vulgate du tout-football qui laisse croire que le football est le seul vecteur de l’image de marque du pays. Alors, c’est clair, des besoins immédiats et criants vont être sacrifiés à l’autel du qu’en-dira-t-on.
Sur le front de la qualité, on peut raisonnablement nourrir quelques appréhensions. Déjà à 16, la qualité de la compétition, à l’argus, est nettement à l’étiage. Il ne faut pas se voiler la face : la pratique du football a fortement augmenté partout en Afrique, mais le niveau de qualité n’a pas toujours suivi. La multiplication des participants à la CAN ne saurait avoir un impact vertueux et est plutôt de nature à diluer la valeur de l’épreuve phare du football en Afrique. La CAN doit rester une compétition d’élite, d’accès difficile et réservé aux meilleurs.
Monsieur Ahmad sait tout ça, sans doute. Quelle mouche l’a donc piqué ? Soif de vengeance, ressentiment, haine du Cameroun ? Peut-être. Qui sur cette terre ne nous en veut pas un peu ? En fait, ce serait mieux que le monde entier nous haïsse, mais la plupart du temps, les autres rigolent, lancent des quolibets. Nous sommes rendus au point où le reste du monde met en doute notre sérieux, notre discipline, notre sens du devoir et notre intégrité morale. M. Ahmad n’est pas le premier à nous insulter ouvertement, et on peut parier qu’il ne sera pas le dernier. Naturaliser sa belle tête ronde dans un bocal de guêpes et de piments rouges, comme le souhaitent certains de mes lecteurs, ne servirait à rien.
Dans cette affaire, ce n’est pas l’insulte qui me soucie, c’est plutôt l’accueil favorable généralisé qui a été réservé à la terrible décision de chambarder en profondeur la formule de la CAN, de modifier le cahier des charges d’une compétition déjà en cours d’organisation et d’enjoindre l’exécutant de ce programme qui, en passant, a été sélectionné à l’issue d’un processus concurrentiel, de s’ajuster ou de démissionner. Le braggadocio de M. Tombi, qui bombe le torse en ville, lui qui devrait plutôt être à la tête de la révolte, est insupportable, surtout qu’il n’a pour socle que le Palais d’Etoudi. Encore une fois, il est à espérer que M. Biya, le pompier ultime, saura remonter les bretelles au petit Malgache avant de verser la rançon exigée.
Léon Gwod