L’univers des Lions indomptables est décidément impitoyable. La guerre que se livrent certains dirigeants camerounais a atteint des sommets. Iya Mohammed a ainsi été réélu le 19 juin à la tête de la Fédération alors qu’il prenait tout juste ses quartiers à la … prison centrale de Yaoundé. Accusé par le pouvoir politique de détournements de fonds entre autres dans le cadre de ses activités professionnelles, il avait fait acte de candidature alors que le pouvoir politique tenait à l’écarter.
Dans l’après-midi, une rencontre chez le premier ministre réunissait même les différents opposants, des émissaires de la FIFA et le ministre des sports. La création d’un bureau de consensus était décidé au bout de ces échanges, sans Iya, évidemment, qui entendait au même moment le juge lui expliquer les motifs de son incarcération…. Mais l’histoire ne pouvait pas s’arrêter là. Les délégués proches de Iya repartaient en pleine nuit au siège de la fédération et faisaient élire leur ami comme président ! Joseph Blatter, le président de la FIFA, lui envoyait même une lettre de félicitation très amicale, lui promettant de s’appuyer sur leur amitié. «Au plaisir d’une prochaine rencontre» , concluait-il.
Savait-il que Iya croupissait alors dans une prison sordide de Yaoundé? Dans la foulée, le premier vice-président d’Iya, Seidou Mbombo Njoya, s’autoproclamait calife à la place du calife. Fin des débats? On en était loin…
Empêché de se rendre à la fédération, Seidou, proche de Issa Hayatou, président de la CAF, cédait le pouvoir après un énième rebondissement, la chambre des recours de la Fécafoot annulant le résultat. John Begheni Ndeh prenait illico le pouvoir en sa qualité d’ancien vice-premier président de la fédération avant l’élection annulée et se débarrassait illico du secrétaire général inféodé à Iya. Terminé? Que nenni.
Ce choix entraînait une vive réaction de la FIFA qui suspendait la fédération camerounaise de toute compétition en attendant de réécrire les textes, de renommer un président. Nous en sommes là aujourd’hui. Et je passe sur l’ambiance irréelle qui règne au siège de la fédération investie par des cerbères plus musculeux les uns que les autres…
Joseph-Antoine Bell, l’ancienne gloire des Lions, ne pouvait pas rester muet devant cette mascarade. Lui qui s’est si souvent battu contre sa Fédération au risque de s’attirer des ennuis, qui n’a jamais reculé devant l’adversité, livre pour afriqueenfoot.blogs.lequipe.fr son sentiment. Il n’épargne personne dans son analyse mais entrevoit des jours meilleurs si l’on tient enfin compte des réalités.
Quel est votre sentiment sur la situation que vit le Cameroun actuellement ?
Le Cameroun est victime de lui-même. Il a la chance d’avoir le vice-président de la FIFA et le président de la CAF depuis 25 ans (Issa Hayatou) et malheureusement son football n’a pas arrêté de dégringoler. Les gens ont tendance à juger le foot à travers les résultats de leur équipe fanion mais le foot se juge sur des aspects plus généraux : le nombre de pratiquants, de terrains construits, la gestion générale… Et de ce côté, on a toujours été présent dans la rubrique des faits divers, ce qui est une preuve évidente de mauvaise gestion. Le pays a obtenu des résultats exceptionnels en club dans les années 70 et en équipe nationale dans les années 80 ou 90 et ces résultats ont fait que le Cameroun a gagné la sympathie des gens. Et quand je critiquais ce qui se passait, ça me valait toutes les animosités.
C’est un combat qui part donc de loin ?
Exact. Si on fouille dans L’Equipe ou dans France Football, on retrouvera des déclarations de ce monsieur Hayatou qui disait que le Cameroun réussissait dans le désordre. Voilà des vraies paroles de dirigeant ! Quand un dirigeant sacralise le désordre, on peut s’attendre à tout. Après, tout se comprend et on en est là aujourd’hui…
« Soit c’est la décadence morale complète d’un pays, soit c’est la preuve que ce type est un parfait corrupteur »
Mais imaginiez-vous un jour voir au Cameroun l’élection d’un président en prison ?
Ça veut dire que les gens n’ont plus le sens de rien. Ce jour-là, il y avait Messi qu’on venait d’inculper pour fraude fiscale sur une affaire vieille de quelques années. On se doute donc que ce n’était pas lui en tant que tel qui avait dissimulé cet argent. Mais tout le monde était d’accord pour dire que ça allait affecter son image. Et chez nous, tout le monde semble indifférent qu’un pays accepte qu’un homme déjà en prison puisse concourir et avoir toutes les voix (97 sur 98) ! Soit c’est la décadence morale complète d’un pays, soit c’est la preuve que ce type est un parfait corrupteur.
On va revenir sur les différents événements liés à cette élection …
… L’élection en elle-même a atteint un paroxysme. Mais le plus grave, c’est que le président de la FIFA a envoyé une lettre de félicitation au président élu ! Si je parle de cette manière, c’est aussi pour montrer comment on traite les Africains, comment ceux qui se disent évolués sont capables de faire une fois qu’il s’agit de l’Afrique. Quand on a envoyé Tapie en prison pour l’affaire VA-OM, est-ce que la FIFA lui a envoyé une lettre de félicitation pour avoir gagné la C1 ? D’ou vient cet africanisme pour gérer les affaires africaines ? J’ai toujours dit, je veux être jugé avec la même mesure que les autres, pas avec une mesure africaine. Peut-on faire ça ailleurs qu’en Afrique ?
La lettre comporte d’ailleurs une partie manuscrite…
Donc, il a bien lu la lettre, on ne l’a pas envoyée pour lui ! Ce que peut faire Blatter est incroyable !
Est-ce un manque de respect ?
Oui, c’est un manque de respect. Blatter ne s’amuserait pas à intervenir si la France envoyait un dirigeant en prison, il ne s’amuserait pas à écrire à un dirigeant du foot allemand en prison.
« Dans certains pays, un gars soupçonné de tremper dans des affaires doit démissionner. Chez nous, on a voté pour quelqu’un en prison ! »
Reprenons la chronologie. Après l’élection, Seidou Mbombo Njoya, le premier vice-président d’Iya, s’est déclaré président en sa qualité de numéro 2…
… C’est une espèce de cinéma comme si nous étions tous des êtres inintelligents… Si le premier sur la liste est en prison et que vous estimez que le deuxième mérite d’être président, pourquoi ne pas voter directement pour lui ? Le premier n’est pas tombé malade le lendemain de l’élection, il était incapable d’exercer mais vous votez pour lui ! En gros, vous estimez que ce type-là, même en prison, vaut mieux que le deuxième… Et ensuite le deuxième prendrait le pouvoir par procuration ? C’est complètement absurde. Le plus grave, c’est que dans ce processus d’élection, il y avait des magistrats camerounais et notamment deux de très haut niveau ou supposés tels ! Ils ont cautionné ça… Vous devez pourtant avoir une certaine moralité pour posséder ce genre de poste. Il y avait notamment un avocat qui est président de transparency International Cameroun. Donc cet organisme qui nous explique comment ça se passe sur la transparence et la corruption a voté pour quelqu’un en prison !
C’est effectivement surprenant…
Dans certains pays, un gars soupçonné de tremper dans des affaires doit démissionner. Chez nous, on a voté pour quelqu’un en prison ! Et il n’est pas en prison comme ça. La justice a estimé qu’il y avait suffisamment de choses à lui reprocher. Ce type-là était directeur général d’une société d’Etat et membre du comité central du parti au pouvoir. On peut donc estimer que le parti au pouvoir ne peut pas mettre en prison à la légère ses propres hauts dirigeants.
Finalement, Seidou doit se retirer pour laisser la place à John Begheni Ndeh qui s’est ensuite débarrassé du secrétaire général Tombi a Roko, d’où la suspension de la FIFA…
C’est là que la FIFA s’emmêle les pinceaux. Car le secrétaire général de la Fecafoot a oublié qu’en tant que contractuel de la fédération, il n’a pas à se mêler de la bataille des élus. Hors il a pris fait et cause pour Iya. Blatter oublie que quand Michel Zen-Ruffinen [[En mai 2002, le secrétaire général de la FIFA, Michel Zen-Ruffinen, avait publiquement dénoncé les dysfonctionnements au sein de la FIFA et critiqué le «système Blatter» . Un mois plus tard, il était contraint de démissionner]] a fait ça, il lui a coupé la tête… C’est exactement ce qui se passe chez nous. Quand le nouveau président arrive, que fait-il ? Il coupe la tête du secrétaire général ! Et la FIFA veut prendre fait et cause pour le secrétaire général. Comment peut-elle prendre fait et cause pour un salarié camerounais ? La FIFA aurait pu dire : je préfère écouter Gérard Enault (ancien directeur général) à la FFF plutôt que Jean Fournet-Fayard (ancien président de la fédération française) ou un autre ? Ce n’est pas possible.
« La corruption ne peut que prospérer »
C’est l’avenir du foot camerounais qui est en jeu…
Ce qui me console un peu, c’est qu’après avoir atteint ces sommets d’ineptie, je pense que tout le monde, même le chef de l’état, s’est rendu compte que quand je parlais, j’avais raison. On doit pouvoir raser tout ça. Il ne faut surtout pas accepter les demi-mesures que Hayatou et les autres vont essayer de proposer pour faire plaisir à la FIFA. Si on fait des compromis, ça devient des compromissions. On ne va pas s’en sortir et la pègre va continuer. Il faut en profiter pour reconstruire.
Mais cette suspension empêche toute participation des Camerounais aux compétitions officielles…
Depuis l’affaire Bosman, la FIFA n’est plus seule maître du monde. Elle est comptable devant le TAS, nous avons suffisamment d’éléments pour faire condamner la FIFA. J’ai mes propres lettres que j’ai envoyées à Blatter pour attirer l’attention sur les textes en vigueur chez nous. Ils n’ont pas voulu que ces textes soient révisés avant les élections. Je leur ai expliqué qu’au lieu de voir la guerre après les élections, il faut une révision des textes avant les élections. Résultat ? La FIFA a laissé Iya continuer en bravant les autorités camerounaises pour arriver au pouvoir. Et maintenant, elle veut réviser les textes. C’est elle qui est en cause. Lors de la crise de 2004, je faisais partie de l’équipe qui avait relu les textes mais Iya et sa bande ont réussi à ne pas appliquer la relecture de ces textes. La FIFA ne s’est pas réveillée alors qu’aujourd’hui, elle le fait puisqu’il n’est plus là. C’est une reconnaissance tacite de son inaction et de son entêtement : elle ne peut donc pas suspendre le Cameroun ! Il faut de la volonté, de la ténacité du côté camerounais pour aller au TAS. Le gouvernement est parfaitement qualifié pour saisir cette juridiction. Le peuple se sent forcément touché par la sanction actuelle. De toute façon, la FIFA n’a jamais suspendu personne pour un scandale comme ça pour deux ou trois mois donc ça va se régler avant… Mais sur le principe, le Cameroun ne doit pas céder.
Les problèmes à la fédération sont-ils aussi une victoire d’Eto’o ?
D’une certaine manière oui. Eto’o quand il était gamin, on a pu le dresser contre moi mais à un moment, il a suffisamment d’expérience, de recul pour voir clair dans ces histoires et il a vu que ces gens-là ne favorisaient pas sa carrière. Le problème qu’a connu Eto’o est caractéristique. On se serait cru 20 ans plus tôt… On invite les Lions en Algérie et au Maroc et les dirigeants n’ont pas les primes avec eux. Ils prétendent les avoir oubliées au Cameroun alors qu’ils doivent les donner aux joueurs sur place. C’est encore n’importe quoi. Et les dirigeants qui ont oublié les primes, on les suspend ou pas ? En creux, si les joueurs demandent l’argent sur le champ de bataille, c’est la preuve qu’ils n’ont pas confiance en vous. Et si vous le faites aussi, c’est que vous avez entériné ce manque de confiance. Voilà la situation du foot camerounais. Les joueurs pensent que leurs dirigeants sont des voleurs et leurs dirigeants justifient l’idée de leurs joueurs.
Sentez-vous la possibilité d’un changement ?
Effectivement, je me dis qu’on n’a jamais été aussi proche. On disait du mal de moi à une époque et tout le monde se range maintenant de mon coté. Hayatou balançait sur moi en disant que je n’étais pas patriote car je demandais plus d’organisation. Mais aujourd’hui, tout le monde lui tombe dessus car on voit que si ce type avait de la compétence, le pays ne serait pas si désorganisé. Si on a pu gagner dans le désordre, comme il le dit, pourquoi ne pas s’organiser pour gagner plus ?
« Je vais pouvoir être candidat et je vais pouvoir gagner »
Que faut-il faire aujourd’hui ?
Nous avons d’abord un problème de textes car dans nos textes, les délégués qui viennent à l’assemblée générale ne viennent pas du foot. Sur neuf délégués, il n’y en a qu’un seul qui est président de club.
Que font les autres ?
Ils viennent de nulle part, de la corruption. Ils font que notre foot ne marche pas. Ils ne sont ni joueurs, ni arbitres, ni entraîneurs, encore moins présidents de club. Depuis si longtemps, je fais remarquer que les textes ne sont pas bons. Car le président de la fédération fait voter des gens qui dépendent de lui ! S’il désigne ses électeurs, il ne peut pas être mis en minorité. In fine, les clubs de foot sont en minorité dans leur propre assemblée. Donc la corruption ne peut que prospérer. Ces gars-là sont obligés d’être corruptibles car ils ne peuvent pas aller contre leurs propres intérêts. Si ceux qui votent ne sont pas dans des clubs, ils se contentent de backchich. Si on fait venir le boucher du coin, le maçon, le charpentier, le berger… Ces gens-là qui n’ont rien dans le foot vont se contenter de 1000 euros alors qu’au club, il devrait donner beaucoup plus.
Avez-vous l’espoir d’un changement ?
Oui, j’ai de l’espoir. La FIFA a été obligée de se mouiller. C’est devenu grotesque et grossier. Et ça a réveillé le patriotisme du Camerounais qui se dit : » Comment on a pu se faire berner comme ça ? » Et puis les officiels et les politiques ont entendu le gouverneur de la région dire : « si vous aviez écouté ce monsieur (Bell), on n’en serait pas là ». Tout le monde a ouvert les yeux, ces gens n’étaient pas là pour le foot mais pour voler l’argent du foot. Quand un président de fédération se vante plus de la construction de son nouveau siège que du nombre de ses licenciés… On sait d’ailleurs que c’est dans le BTP qu’on peut voler aussi… La Fédération n’est pas une société immobilière, non ? Quand on va à la FFF, on met en avant le nombre de bâtiments ou de licenciés ? Alors dire : J’ai bien travaillé, je construis un nouveau siège. Mais des équipes de deuxième division jouent pieds nus ! Et oui, on a des footballeurs qui jouent pieds nus chez nous.
Vous pouvez peut-être prendre enfin du pouvoir ?
On m’a dit que je parlais mais que je n’étais pas candidat. Mais pourquoi voulez-vous que je sois candidat dans une élection où je n’ai aucune chance ? Une fois qu’on refait les textes et que la parole est donnée exclusivement aux gens qui font le foot, là oui, ça m’intéresse. En 96, j’ai été candidat, j’ai parlé de programme de foot à des gens qui s’en moquaient. Je peux proposer un programme de développement. Je vais pouvoir être candidat et je vais pouvoir gagner car je parlerai le langage du foot à des gens du foot.
HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)