Barcelone, 20 octobre. – Un siècle que je n’étais pas revenu dans cette ville que j’ai retrouvée totalement transformée. J’en étais féru, je me rappelle, pendant les années d’université, lorsque je venais voir un copain malien du côté de Montjuic. Il y avait La Rambla d’alors, moins grouillante ; la construction des quatre tours de la façade de la Passion de la Sagrada Familia n’était pas encore achevée ; la Calle Ferrer avait encore ce petit bistro où Manolo et Paco, deux pédés vieillissants, confectionnaient des churros enivrants. Et puis, la drague était bonne. Il suffisait, autour de la statue de Christophe Colomb, de prendre l’air d’un réfugié cubain ou d’un sculpteur malien pour embarquer la touriste britannique. Tout cela semble si loin, si différent et, en fait, si triste.
Pourtant vivent dans cette ville Carlos Kameni et Samuel Eto’o. Et surtout, Thomas Nkono. Mais laissons tout ça de côté pour le moment.
Et revenons en arrière, oui j’insiste, à 1990. Et tant pis si la bronca s’élève encore parce que j’aurai dit que cette année n’aurait jamais dû, en ce qui concerne le football camerounais, exister. Je m’attends maintenant à ce que même dans les colonnes de cet organe, un de mes collègues sonne l’hallali et lance une fatwa sur le mauvais coucheur que je suis. Comme tous les jocrisses que nous sommes collectivement, Sanga Titi, esprit cartésien confirmé, fin analyste à ses heures et si réservé d’habitude, tel un pistolero dans un mauvais film, dégaine 1990 chaque fois que l’avenir des Lions indomptables est mis en cause. Il y en a qui aiment avancer à reculons.
Passe encore que tous les gogos du Cameroun s’agrippent à cette poutre pourrie qu’est 1990, mais qu’ils s’y scotchent aussi inconsidérément et sans se poser la moindre question, convaincus que bon vent mauvais vent elle les ramènera toujours au port est une folie que je ne m’expliquerai jamais. Pourtant, il existe de nombreuses raisons de croire que 1990, comme le dimanche, n’arrivera pas tous les jours. Ce qui me ramène à Barcelone, à Nkono et à Nepomniachi et, accessoirement, à Jules Nyongha qui ne nous fait plus pitié depuis qu’il s’est mis à dire des sottises.
Quel souvenir avez-vous, au fond de vous-mêmes, de 1990 ? La tête d’Omam ? Higuita, Milla ou les facéties de Massing et de Kana ? Je vous propose ceci : Kundé retrait à Nkono ; Kundé retrait à Nkono ; Kundé – Nkono ; Kundé – Nkono. Avec ça, victoires contre l’Argentine et contre la Roumanie. Ensuite, il y a le Turkménistan. Ce pays existait-il ? Qui le sait vraiment ? Mais on avait un Turkmène, Valeri Nepomniachi, animateur communautaire en URSS installé aux commandes des Lions par la coopération soviétique et payé par les Russes. C’est ça, 1990. Ah ! j’allais oublier : la calamiteuse CAN algérienne, sous la houlette du Turkmène. Mais de quoi se plaint-on ? On n’est pas arrivé en quart de finale de la Coupe du monde quelques mois plus tard, après tout ?
Certes, mais voilà : tout comme la drague n’est plus la même à Barcelone en 2007, le retrait au gardien de but n’est plus la recette la plus sûre du succès sur les terrains de foot. Tout le monde le sait, mais du ministre au supporter le plus obtus, au Cameroun, tout le monde cherche à recréer l’ambiance de 1990. Collectivement, nous voulons croire que les Lions n’ont jamais aussi bien fait que lorsque les conditions étaient les plus défavorables possibles. Alors, pourquoi travailler, prévoir, investir ?
Cette croyance, risible au demeurant, explique néanmoins l’inénarrable situation d’une équipe de football de renom laissée à pourrir par toute une nation et tous les fonctionnaires payés pour assurer sa survie et son épanouissement. Peu importe 1994 ou 2002, peu importe les quolibets servis à tout un peuple à la suite de la péripétie nippo-coréenne, peu importe le discrédit consécutif au trafic de billets en 1998, peu importe les insultes des Equato-Guinéens montrant à la face du monde l’état lamentable des vestiaires de notre plus grand stade, le ministre des Lions indomptables, le président de la Fécafoot et une bonne partie des Camerounais ne semblent avoir qu’une seule préoccupation : trouver un autre Nepomniachi, formuler des vœux de mauvais temps autour des Lions et, ainsi, croient-ils, retrouver l’accident de 1990.
Je retiens deux choses, que je vais vous asséner sans doute par dépit et un peu pour marquer ma lassitude. En premier lieu, Augustin Edjoa, le patron du football au Cameroun – parce que, contrairement à ce que l’on a tendance à penser, le football étant un sport amateur au Cameroun, c’est l’autorité publique qui en est responsable en dernier ressort – ne sera sans doute pas le ministre des sports le plus lamentable qu’on aura connu, mais il sera le plus transparent. Rien ne laisse croire qu’il a la moindre idée de solution, rien ne laisse croire qu’il a envie de faire quoi que ce soit, rien ne permet de penser qu’il prend les choses en main. Il ne fera rien, de peur de faire quelque chose, justement.
Ensuite, Jules Nyongha. Il a toujours été là ; surtout en 1990. Humilié, diminué, mais tenace. Il n’a pas besoin d’être payé ou même d’avoir un contrat. Il donne une certaine noblesse à l’incurie ; il a une ambition de minus qui plaît à ceux qui nous comparent à la Guinée Équatoriale et au Rwanda. Il sera encore là. Il y a donc une chance qu’un autre accident heureux survienne au Ghana.