Son histoire a commencé comme celle de tous ces petits caïds qui peuplent les quartiers difficiles. Ils débutent par des larcins et quelques petites frappes. Le laxisme aidant, ils gagnent des galons et montrent de plus en plus d’audace dans le mal.
Notre amour, nos actes, notre lâcheté collective, l’irresponsabilité de nos gouvernants corrompus et qui se sont fortement compromis aux côtés de l’ex petit caïd ont nourri la bête pour en faire le monstre incontrôlable qu’il est devenu. Il menace désormais de tout détruire, de faire imploser tout le football camerounais – si ce n’est pas simplement le Cameroun -. Pour son ego.
- Il y eut ce violent coup de tête qui faillit faire trépasser un journaliste à l’hôtel Hilton de Yaoundé. On n’a rien dit.
- Plus tard, il organisa une grève des joueurs à Marrakech alors que les Lions Indomptables devaient affronter l’Algérie dans le cadre de la LG Cup. Le Cameroun s’en tira avec un forfait, mettant la Fécafoot en porte-à-faux avec la Fédération algérienne de football. On a justifié.
- Un jour, alors qu’il était traduit devant le conseil de discipline de la Fécafoot, il menaça ses jurés, agitant sur le Cameroun le spectre du « printemps arabe » au cas où le conseil avait l’outrecuidance de sanctionner « l’icône populaire » qu’il était. C’était au plus fort de la fièvre politique et sociale qui avait emporté certaines satrapies nord-africaines. On n’a rien dit.
- Lancé dans une mégalomanie à nulle autre pareille, il s’était affublé, en plein stage de préparation d’un match des Lions Indomptables, d’un fonctionnaire de la gendarmerie qui marchait sur ses talons comme un chien, au motif qu’il craignait pour sa vie. Il ne mangeait pas avec ses coéquipiers, ses maillots lui venaient directement de chez l’équipementier, etc. On a laissé faire.
- A la veille de la Coupe du monde au Brésil, il humilia publiquement le Premier ministre du Cameroun en refusant de prendre de ses mains le drapeau qu’il était censé aller défendre. On a toléré.
- En plein Mondial au Brésil, il fit voir des vertes et des pas mures, non seulement au ministre des Sports d’alors, mais aussi au président du Comité de normalisation, Pr Joseph Owona. De même qu’à ses coéquipiers, lançant des fatwas contre quiconque osait lui faire la moindre remarque. On a accepté.
- En pleine Coupe du Monde au Qatar, il s’en est violemment pris à un blogueur algérien. Un acte de barbarie indigne de son rang. On l’a applaudi.
On peut à l’envie réciter toute la litanie des foucades de l’homme. L’indiscipline est comme l’appétit. Il vient en mangeant. Fort du laxisme ambiant et de quelques soutiens au cœur de la République et dont il se prévaut, il est monté d’un cran. Il n’a plus de limite.
Hier, il a commis l’irréparable; il a fait expulser un fonctionnaire, émissaire de son ministre de tutelle. Il a rudoyé le sélectionneur des Lions Indomptables qui ne lui a rien fait. Dans un accès de populisme, il a proféré contre le pauvre des paroles bassement xénophobes. Sa foule de suiveurs fanatisés l’a applaudi. On l’a canonisé. Il est le nouvel héraut de la cause noire face à un homme juste coupable d’avoir accepté de signer un contrat avec le gouvernement camerounais pour entraîner son équipe de foot.
Jusqu’où ira l’escalade ? Difficile de le savoir.
Il se dégage comme un je-ne-sais-quoi d’impuissance de la part des autorités camerounaises. Un sentiment typique des Républiques où on a sublimé le football faute de mieux, incapables qu’elles sont de trouver des solutions originales à l’oisiveté et au chômage des jeunes. Il ne leur reste que le foot. « Panem et circenses », « du pain et des jeux », disaient les latins.
Ils ont une peur bleue d’une éventuelle suspension des Lions Indomptables. Le vague chantage et l’épouvantail de la Fifa marchent à merveille. Là où des patriotes dans des Républiques normales auraient décidé de faire même une impasse (s’il le faut) sur la Coupe du Monde afin de faire valoir l’autorité de l’État et de régler définitivement la crise, ils tergiversent. Ils n’ont pas une haute idée de la République. Ce ne sont pas des hommes d’Etat. Ils paniquent. Ils tremblent. Ils pleurnichent. Ils geignent. Ils sont perdus. Que leur restera-t-il ?
Qui donc pour mettre fin à ce vaudeville ridicule qui ternit gravement l’image du Cameroun ? Personne.
Si pour une banale histoire de recrutement d’un entraîneur de foot (!) on tourne ainsi en rond depuis bientôt deux mois, il faut craindre que tous ces successeurs putatifs du Vieux n’aient pas l’étoffe pour faire face aux vrais défis qui interpellent l’avenir d’un pays comme le Cameroun où tout est à faire.
Jean-Bruno Tagne