Indomptable, le Camerounais de 25 ans empile les buts et les prestations XXL avec le FC Porto. 2017, une année en grand pour un buteur, qui, entre les feintes et les accélérations, s’adonne à son autre passion : l’écriture, autour de la réflexion métaphysique. Pour FF, celui qui a failli rejoindre l’OM, l’été dernier, se confie.
«Vincent, avec 22 réalisations toutes compétitions confondues depuis le début de saison (12 en Championnat, cinq en C1, quatre en Coupe du Portugal), vous êtes le meilleur buteur en Europe après Cavani et vous devancez Messi ou Ronaldo. Comment expliquez-vous cette réussite ?
Ces performances, je les réalise grâce à mes coéquipiers et mon entraîneur. Tout repose sur le travail, une bonne organisation, ainsi que sur la concentration.
Au-delà de l’expression collective du FC Porto, avez-vous progressé individuellement dans certains aspects ?
C’est une sorte de prise de conscience qui trouve son explication dans l’idée d’être régulier. Par le passé, cela n’a pas toujours été simple au FC Porto. Mais là, avec ce coach (Sergio Conceiçao), je sens qu’il essaye de tirer le maximum pour je puisse me sentir impliqué dans le projet. C’est aussi ce qu’il fait avec mes autres coéquipiers. Aujourd’hui, ses idées de jeu sont claires et précises. Ce qui fait en sorte que le jour J, on sait exactement ce qu’on attend de vous. Et si tout le monde se dit la même chose, c’est plus facile et l’équipe en bénéficie.
Justement, vous venez de parler de votre entraîneur Sergio Conceiçao : que vous a-t-il apporté ? Un rôle de numéro 1 que vous attendiez ?
Oui, il est très important, et je l’en remercie. Pour être franc, après ma saison au Besiktas, il n’était pas prévu que je revienne à Porto. Je ne me sentais pas bien considéré dans le passé. Et, quand Sergio Conceiçao est arrivé, son discours a tout changé car il m’a touché. J’ai accroché, il est direct et dit les choses.
Racontez-nous cette séquence…
Dès la préparation, je suis venu pour voir, et sentir les choses. Dans la vie, j’aime les gens qui sont vrais. Humainement, il faut me dire les vérités car c’est ainsi que je peux le mieux m’exprimer. Si tout est clair, on se donne au maximum. Il ne m’a jamais dit que j’étais son numéro 1. Son adjoint m’avait appelé, et m’avait sensibilisé et fait comprendre qu’il allait compter sur moi, et que je devais tout faire pour lui rendre cette confiance. Ensuite, j’ai senti un bon feeling avec lui, et une sensation très très positive. Derrière, les choses sont venues naturellement, et il m’a fait progresser, et même franchir des paliers.
Le FC Porto est en tête du Championnat également grâce à son trio de feu offensif 100% africain (Marega, Brahimi et Aboubakar). Quel regard portez-vous sur cette association ?
C’est d’abord un système qui marche. On est en 4-4-2 et cela demande beaucoup d’efforts physiques. On a aussi de la puissance et, à ce niveau-là, les Africains ne sont pas en reste. Pour être sincère, je n’ai pas de réflexion à proprement dite sur le fait qu’on soit un trio africain ou pas. Le coach peut en mettre d’autres, et ça peut aussi marcher. On évolue dans un ensemble, avec une idée de jeu dans laquelle les individualités viennent s’insérer. La clé, c’est le message du coach. Je n’ai pas de sentiment de fierté particulier. Le football, c’est défendre des couleurs de son club. Nous sommes des joueurs du FC Porto. Nous avons une seule couleur…
Sentez-vous le poids de l’histoire au FC Porto ? Des grands attaquants sont passés par ce club : Madjer, Jardel ou plus récemment Falcao…
Je ne le ressens pas comme ça. Je respecte l’histoire, et j’imagine que, de l’extérieur, on peut voir les choses comme cela. Je suis focalisé sur le temps présent, sur mon moment, mes performances. Je suis concentré sur mon job, sur ce qu’on voit sur le terrain, et aussi en dehors, ce qu’on appelle le travail invisible. Là, l’objectif, c’est de gagner des titres pour que tout le monde soit content, c’est cela qui me préoccupe beaucoup.
En huitièmes de finale de la C1, vous allez jouer face à Liverpool et ses deux autres stars africaines : Salah et Mané. Comment imaginez-vous ce match ?
Mohamed Salah, Sadio Mané et même Pierre-Emerick Aubameyang font une année formidable. Il n’y a rien à dire là-dessus. Cela mérite le respect. Après, ce match face à Liverpool, je pense qu’il est équilibré. L’équipe la plus motivée et la plus ambitieuse aura le plus de chances de passer. En somme, c’est très ouvert.
Vos compatriotes Milla, Eto’o, Mboma ont remporté le ballon d’or africain. Vous êtes retenu dans la short list en cette année. Est-ce un objectif ?
Le fait d’être considéré dans la lignée de ces joueurs-là, c’est une fierté. C’est un encouragement qui valide le travail accompli depuis le début de ma carrière. Je ne me focalise pas sur les trophées individuels mais je me demande juste comment je peux faire mieux dans l’avenir. Chaque joueur a sa personnalité. Ils ont marqué l’histoire le pays. Il faut être un bon joueur, mais aussi un joueur humain avec une sensibilité. On peut avoir tout le talent du monde, mais si vous n’êtes pas une bonne personne, je ne peux pas vous aimer. Humainement, si je sens qu’on n’est pas sincère, je ne peux être aux côtés de cette personne. On peut même gagner 40 Ballons d’Or, cela ne m’intéresse pas.
En janvier dernier, vous avez marqué l’un des plus beaux buts de l’histoire d’une finale de CAN après un sombrero magique sur un défenseur égyptien. Ce but a offert la CAN aux Lions Indomptables. Qu’est-ce que cela représente pour un natif de Garoua ?
Honnêtement, je ne pense pas beaucoup à ce but. Le moment est passé. Dans le football, on oublie rapidement, ça passe tellement vite. J’ai tourné la page, j’ai envie aussi de gagner des choses avec le FC Porto. Je pense que le titre individuel peut même créer des conflits alors que collectivement, cela a plus de forces. C’est tellement beau à voir, cela n’a pas de prix.
On sent une forme de détachement par rapport au monde du football. D’où cela vient-il ?
De mon éducation, mais c’est aussi la manière de voir la vie. Je préfère qu’on dise les choses, et pas ce qu’on a envie d’entendre. Je connais le monde du football, je suis rentré très jeune dans cet un univers. J’ai beaucoup observé, et écouté. J’ai très vite compris et j’ai très peu d’amis dans ce monde.
Du Coton Sport de Garoua au Porto FC, racontez-nous votre trajectoire…
J’ai grandi à Garoua, j’ai commencé dans la rue pour le plaisir. Après, je suis parti à Coton Sport, chez les juniors, je suis devenu le meilleur joueur. On m’a appelé chez les cadets du Cameroun. J’ai commencé à ce moment-là à prendre conscience que je pouvais réaliser une carrière professionnelle. Les autres coéquipiers venaient me voir pour me dire que j’avais quelque chose de différent. Là, j’ai fait une rencontre très importante qui a beaucoup compté dans mon parcours.
Quelle est-elle ?
Quand on est un jeune joueur africain, les fausses promesses sont légion, il y a peu de réussite et souvent beaucoup de désillusions. C’est pour cela que je tiens à remercier une personne qui a joué, et joue toujours un rôle très important dans ma vie : mon agent, Monsieur Maxime Nana. Il m’a découvert gamin au Cameroun. Il a tenu sa parole en me faisant venir à Valenciennes à seulement 18 ans. Il m’a vu, et m’a dit que sur mes qualités, je ressemblais beaucoup à George Weah, passé aussi par le Championnat du Cameroun. Et quand on va de Garoua à Valenciennes, ce n’est pas le même monde. Je suis passé de 38 degrés à un froid intense dans le nord de la France. Ces moments difficiles m’ont forgé un gros mental. C’est au fond ce qui me rend plus régulier et constant.
Lors de votre passage à Valenciennes, l’OM s’était intéressé à vous via Vincent Labrune. On aurait découragé le président marseillais en laissant entendre que vous aviez les pieds carrés…
(Il coupe) Oui, j’en ai entendu parler. Je l’ai même lu à plusieurs reprises. À Valenciennes, cela ne s’est pas du tout bien passé (72 matches de L1, neuf buts). Je suis parti à Lorient où j’ai rencontré un super coach, Christian Gourcuff. Beaucoup de choses ont changé pour moi. Je le remercie, lui comme Sylvain Ripoll. Gourcuff m’a fait progresser sur le plan de la finition car il m’a fait répéter les exercices devant le but, après les entraînements. À Lorient, on a tout fait pour que je réussisse. Au contraire, à Valenciennes, j’ai eu des moments difficiles. J’ai les pieds carrés ? Il n’y a pas de souci… Le temps est sage, et il finit par tout révéler. J’ai fermé ma bouche, j’ai travaillé. Le silence est un ami qui ne trahit pas. J’ai une force intérieure qui est immense. J’accepte les critiques. Cela fait partie des étapes, c’est ce qu’on appelle un cheminement.
L’OM est un rendez-vous raté. L’été dernier, sur la dernière ligne droite du mercato, on sait qu’il y a eu des discussions avec ce club. Pourquoi n’êtes-vous pas venu ?
J’ai commencé la préparation avec le FC Porto, et cela se passait pour le mieux avec des automatismes entre mes coéquipiers et moi. J’ai été sur une bonne lancée, donc j’ai choisi de rester. L’OM est aussi une grande équipe, et aujourd’hui c’est elle repart sur un projet dont on ne sait pas vraiment s’il est sûr. Venir à l’OM, c’était démarrer sur un nouveau cycle, partir presque de zéro avec tous les risques que ça comporte.
«J’ai eu Rudi Garcia au téléphone, on s’est envoyé plusieurs messages»
Avez-vous pesé le pour et le contre ?
J’estime que c’est soit l’équipe qui s’adapte à vous ou le contraire, alors qu’à Porto, j’ai senti que les automatismes étaient déjà bien présents. Si cela fonctionne mal en France, vous savez très bien comment ça va réagir. Ils ont pris Mitroglou (Benfica), et regardez comment cela se passe. Ce n’est pas du tout facile. Il est arrivé dans une équipe où les joueurs avaient déjà fait la préparation ensemble. C’est pour cela que j’ai préféré prendre du recul et rester à Porto. Après, dans le football, il ne faut pas regarder que l’attaquant. Imaginez que Mitroglou soit à 12 buts et que l’OM se trouve à la 12e place du classement ? Que diriez-vous ?
Rudi Garcia a-t-il essayé de vous convaincre ?
Oui, j’ai eu Rudi Garcia au téléphone, on s’est envoyé plusieurs messages. Je lui ai dit : « Coach, il faut vraiment m’excuser de ne pas venir. » Il a compris. C’est un coach intelligent avec un état d’esprit très ouvert. Il essaye de se mettre à la place du footballeur. C’est quelqu’un de très bien.
En dehors du football, que diriez-vous de vous ?
J’aime écrire…
À propos de quoi ?
J’écris depuis plus de neuf ans sur le monde qui m’entoure. Je suis fasciné par l’espèce humaine, le cosmos, les atomes ou l’existence. En somme, tout ce qui relève de la métaphysique. J’aime la réflexion, la compréhension car cela me permet d’avoir un bon équilibre dans ma vie. Je pense que l’écriture apporte la puissance.
Comptez-vous un jour publier vos réflexions sur le sujet ?
Non, pas du tout. J’ai un endroit où je vais aller déposer cela.
Dans une bibliothèque universitaire ?
Non, c’est mon secret…»
Nabil Djellit