Après deux années (2011-2013) passées au club daghestanais de l’Anji Makhatchkala (Russie) où il était le joueur le mieux rémunéré du monde (20 millions d’euros annuels hors primes), Samuel Eto’o a rejoint Chelsea l’été dernier, convaincu par le retour aux commandes des « Blues » de José Mourinho, son ancien entraîneur à l’Inter Milan (2008-2010). Souvent remplaçante, la star camerounaise de 32 ans a signé un triplé, le 19 janvier, contre Manchester United (3-1).
Votre triplé contre Manchester United répond-il aux critiques sur votre manque d’efficacité en championnat depuis le début de saison (6 buts en 13 matchs)?
Samuel Eto’o : Je n’ai rien à montrer. Je suis Samuel Eto’o. Et je ne crois pas que je doive montrer quoi que ce soit à qui que ce soit. Je devrais plutôt essayer de prendre du plaisir. Ceux qui analysent le football savent que mes performances sont là. Je n’appartiens pas au groupe de joueurs considérés comme bons, mais au groupe des grands joueurs.
Après votre triplé, José Mourinho a déclaré : « C’est le retour du tueur de surface que je connaissais. »
Depuis le banc de touche, je ne peux pas montrer de quoi je suis capable. José sait tout ce que je peux faire sur un terrain. Je ne vais pas me satisfaire de ce qu’il a dit parce que je sais le faire. J’ai juste besoin d’être là pour le faire.
Pourquoi avez-vous choisi de venir à Chelsea après ces deux années passées dans le championnat russe ?
Il y a eu de la malchance avec la maladie de M. [Suleyman] Kerimov [l’oligarque et milliardaire russe de 47 ans, propriétaire de l’Anji depuis 2011, contraint de vendre ses vedettes et qui connaît actuellement des problèmes de santé]. Je ne serais peut-être pas venu à Chelsea. Avec ce malheur, il a fallu à un moment donné qu’on regarde les possibilités qu’il pourrait y avoir sur le marché. Et puis l’opportunité de Chelsea s’est présentée. Tout grand joueur souhaiterait avoir la carrière que j’ai eue et passer par un club comme Chelsea.
Votre style convient-il au jeu rugueux de la Premier League anglaise ?
Qu’il convienne ou pas, ce n’est pas à moi de juger. Je dois plutôt essayer de m’imposer et d’imposer mon football. C’est ce que j’essaye et que j’essaierai de faire le temps que je serai en Premier League.
Le retour de José Mourinho sur le banc de Chelsea a-t-il été l’argument qui vous a convaincu ?
José a pesé sur ma décision de venir à Chelsea à 80 %. Parce que j’avais déjà travaillé avec lui à l’Inter Milan. Cela s’était très très bien passé. On avait eu une fantastique équipe. Cette saison-là [2009-2010], on a pratiquement tout gagné [Championnat, Coupe d’Italie, Ligue des champions].
Qu’a-t-il apporté à votre carrière ?
José m’a permis déjà de faire un bon choix à l’été 2009. Un choix qui était difficile parce que je partais de Barcelone et il me fallait choisir le bon club à un moment où je devais prouver que ce que j’avais fait à Barcelone n’était pas un hasard. La suite à l’Inter, on la connaît.
Qu’a Mourinho de si spécial ?
J’ai connu quelqu’un de franc. J’aime les gens qui peuvent me dire les choses en face et qu’on puisse discuter. Je n’ai pas toujours connu ça dans ma vie. C’est pourquoi j’ai toujours eu ce respect pour lui.
Vous avez quasiment tout gagné dans votre carrière…
Sauf le Mondial… et la Premier League. J’ai eu la chance de jouer en Espagne, nous avons gagné. J’ai eu la chance de jouer en Italie, nous avons gagné. Et j’espère que, grâce à Dieu, je gagnerai aussi un titre en Angleterre. Et je crois que ma carrière sera vraiment remplie.
Cette saison, votre objectif est donc de remporter le titre en Premier League.
Ce n’est pas notre ambition. Manchester City doit gagner. Et nous, si jamais l’occasion se présente, on ne va pas dire « non ». Comme le dit le coach, ce n’est pas l’objectif du club cette année de gagner quoi que ce soit. La première année, il veut construire une bonne équipe. Et la saison prochaine, on doit exiger des titres.
Comment se passait votre vie en Russie ?
J’étais très bien à Moscou, et encore plus heureux au Daghestan ! Je crois que ce sont mes meilleures années dans le football. Où j’ai vraiment été tranquille. C’est là où j’ai eu le plus l’impression de partager et surtout d’apporter quelque chose. Là-bas, on a reconnu ce que j’ai apporté durant ces deux ans passés 0 Moscou ou au Daghestan… Les gens ont des opinions bizarres sur la Russie, car ils ne connaissent pas ce pays. Je veux dire un grand merci aux Russes en général et aux Daghestanais en particulier, pour leur accueil et l’amabilité dont ils ont fait preuve à mon égard. Et je dirai à mon grand ami Suleyman Kerimov, qui sait ce que je pense de lui, qu’on est des frères. Je l’ai encore eu au téléphone il y a quelques heures… Je lui souhaite un bon rétablissement.
Evoquez-vous avec vos coéquipiers brésiliens le match qui opposera vos pays respectifs en juin lors du premier tour du Mondial ?
On ne parle pas de la Coupe du monde. On a autre chose qui nous préoccupe aujourd’hui : Chelsea. Le Brésil est le favori. Concernant le Cameroun, on va regarder et voir ce qui va se passer. On va défendre notre honneur, même si cela sera difficile.
L’Ivoirien Didier Drogba, élu meilleur joueur de l’histoire du club, a laissé une trace indélébile à Chelsea. Tout joueur africain évoluant sous les couleurs des « Blues » ressent-il une pression particulière ?
Didier, c’est une légende vivante pour ce qu’il a fait. C’est quelqu’un d’unique. Il a permis à tout joueur africain arrivant ici d’être respecté. Mais on ne va pas comparer. Je n’ai pas à regarder ce que Didier a fait.
Quelle trace souhaitez-vous laisser dans l’histoire du football africain ?
Vous savez, les joueurs africains ne sont jamais respectés à leur juste valeur. On essaye de nous opposer les uns aux autres alors que nous avons peut-être fait plus que d’autres joueurs européens ou sud-américains. Mais on essaye toujours de nous caser dans un coin, de nous comparer. On n’en sort pas gagnant. La seule chose que je veux c’est, comme Didier l’a réussi ici, de faire aussi mon bout de chemin et permettre à tous les jeunes Africains qui arriveront ici d’être respectés. D’où mon idée de créer des centres de formation Fundesport.
J’ai eu la chance d’avoir de bons techniciens qui ont recruté de bons joueurs dans mes centres. Certains sont aujourd’hui à Barcelone [comme Jean-Marie Dongou, 18 ans]. Cela fait peut-être mon honneur mais cela fait aussi la fierté du Cameroun. J’en suis heureux et j’espère que cela va continuer comme ça. Et que partout en Afrique, le football africain, grâce à ses jeunes joueurs, sera bien représenté et va pouvoir être compétitif face aux autres nations.
Estimez-vous être un modèle pour les jeunes joueurs africains ?
Pas seulement pour les joueurs africains. Pour de nombreux jeunes. Eto’o, ce n’est pas que l’Afrique même si je viens de là-bas. Partout où vous allez, il y a des jeunes qui s’identifient à moi, et ce que je veux, c’est que tous ces jeunes qui rêvent de devenir Samuel Eto’o soient respectés partout où ils iront. Les gens rêvent d’avoir ma carrière. Mon rêve était de devenir footballeur professionnel. Dieu a voulu m’apporter beaucoup plus. Je ne cesserai jamais de lui dire merci. Je crois que peu de joueurs peuvent être contents de dire : « On a eu une belle carrière. » Jusqu’à présent, la mienne est magnifique.
Votre fondation, Fundesport, œuvre aussi pour l’accès à l’éducation. Songez-vous à vous reconvertir dans ce domaine après votre carrière ?
Quand on commence dans ce métier, il faut déjà penser qu’un jour on doit arrêter mais cela ne regarde que moi. Avec ma fondation, j’essaye de rendre au football africain ce qu’il m’a donné. Si aujourd’hui, grâce à ma renommée, je peux apporter quelque chose à mes jeunes compatriotes africains, ce serait grandiose.
Par Rémi Dupré