Simon Tchobang Tchoya : Ultime parade pour le « nerveux » gardien
Le 3e portier des Lions au Mundial 82 a été inhumé samedi dernier à Douala.
Dippah Kayesse Mutations
« Tcho-Tcho », comme l’appelaient affectueusement ses proches s’est éteint dans la nuit du vendredi 7 septembre dernier à son domicile au quartier Camp Yabassi à Douala. Une nouvelle qui va prendre tout le monde au dépourvu. Surtout au lendemain de cette disparition où son épouse relatait entre deux sanglots qu’il « était environ 22 heures cette nuit quand il s’est éteint ». Et Mme Tchobang de poursuivre que rien ne présageait d’une fin aussi dramatique pour cet homme à qui elle était liée depuis une vingtaine d’années et qu’elle décrit comme quelqu’un qui a toujours été fort face à la maladie. « Tcho-Tcho n’a souffert de rien. Il a ce jour vaqué à ses occupations habituelles, de président entraîneur puisque ses filles jouaient cet après-midi. Et, il est revenu sans la moindre lamentation », précise-t-elle.
Ce vendredi là effectivement, « ses filles » de Ngondi Di Nkam de Yabassi affrontaient au stade annexe de la Réunification de Douala, Génies filles. Malheureusement elles vont perdre la partie, zéro but contre trois. Avant de retourner à la maison aux environs de 20 heures, Simon Tchobang va prendre le soin d’envoyer les équipements du club à son domicile. « Les maillots de l’équipe, c’est lui-même qui les lavait et personne d’autre. A son arrivée, il trouve que je les avais déjà trempés et savonnés », toujours selon un témoignage de son épouse. En forme, il va apprêter le nécessaire pour son voyage du lendemain à Eboné dans le Moungo aux obsèques de Ngango Otto, président de la ligue provinciale de football du Littoral.
Réconfort
« De la chambre, je l’ai entendu se plaindre au téléphone. Puis, il a raccroché avant de prendre place sur le banc à l’entrée de la concession ». C’est de ce banc que les passants vont retrouver Simon Tchobang allongé sans force à même le sol. Transporté de toute urgence à l’hôpital Laquintinie, il va rendre l’âme en cours de route de suite d’un « arrêt cardiaque », apprend-on en attendant les résultats de l’autopsie. Ainsi s’est achevée la vie de Simon Tchobang, ancien gardien de buts de la Dynamo club de Douala et des Lions indomptables du Cameroun, qui, quelques jours auparavant, le 31 août avait soufflé sur sa 56e bougie. Depuis cette fatidique nuit du 7 septembre, le domicile de Simon Tchobang au quartier Camp Yabassi à Douala où il a vu le jour en 1951 ne désemplit pas.
Dés les premières heures de la journée, la famille éplorée commence à recevoir les visiteurs venus leur apporter le réconfort. Les photos de Simon Tchobang qui rappellent sa carrière de footballeur passent inlassablement de mains en mains. Entre larmes et sanglots, on se rappelle ses beaux jours avec la Dynamo. Tous les soirs, les chorales viennent redonner vie à ce domicile plongé dans la confusion. Les réunions des anciens joueurs de la Dynamo club de Douala ou des membres de l’Association des footballeurs camerounais (Afc) dont il en était membre se succèdent. « Nous tenons à lui rendre un ultime hommage digne de sa longue carrière de footballeur », se laisse aller Marius Ndje, ancien capitaine de Dynamo de Douala dans les années 80.
Thomas Nkono
M. Ndje a vu Simon Tchobang à ses débuts dans Eclair de Douala, au poste de gardien de buts. Contrairement à bien de gardiens de buts camerounais qui ont débuté leur carrière comme joueur de champ, Simon Tchobang, quant à lui, a toujours gardé la cage. Et c’est au début des années 70 qu’il regagne les rangs de Eclair de Douala, club de 2e division dans le Littoral et considéré à l’époque comme un véritable vivier de talents. Il évolue alors aux cotés de Roger Milla, Isaac Bassoua, Eugène Ekoulé, Thomas Nkono, David Mayebi… Marius Ndje. « Après la phase aller, Tchobang va perdre son poste de titulaire au profit de Thomas Nkono, ancien avant-centre du club avant sa reconversion en gardien de buts dans ledit club », se souvient Marius Ndje. Tout serait venu d’un déplacement d’Eclair de Douala à Mbanga où l’équipe devait affronter Etoile de cette ville.
Absent aux séances d’entraînements préparatoires, François Bahoumbekim, l’entraîneur de Eclair de Douala prend le risque de mettre Simon Tchobang, le seul gardien disponible, à l’écart. Contre toute attente, c’est Thomas Nkono jusque là avant-centre du club qui gardera les buts. Tommy prend goût et déclasse Tcho-Tcho dans les buts. Ce dernier ne prend pas ombrage et contribue d’ailleurs à étoffer le bagage de son cadet. Toute sa vie, Simon Tchobang répétera à qui voulait l’entendre que c’est lui qui a appris à Tommy à se tenir au goal. A la fin de la saison, Eclair de Douala accède en première division, mais Simon Tchobang déclassé par son « élève » Thomas Nkono va déposer ses bagages à Avion Entrelec de Douala, club de D2.
Sollicité par Dynamo de Douala, Marius Ndje, son ex coéquipier à la Biao de Douala, lui tend la main. Simon Tchobang en quête d’une reconnaissance nationale saisit cette opportunité. Il réussit à s’imposer au sein de la Dynamo et prendre la place de Louis Batoum, le gardien titulaire à cette époque. C’est dans les cages de Dynamo de Douala que Simon Tchobang, deux fois vainqueur de la Coupe du Cameroun en 1979 d’abord face à Pwd de Bamenda (3-1) puis face à Union sportive de Douala (2-0) en 1981, va écrire les plus belles pages de ses vingt années de carrière de footballeur. L’encadrement technique lui fait entièrement confiance. Ses prestations impressionnent l’ancien sélectionneur yougoslave des Lions indomptables, Zutic Branco qui le sélectionne en équipe nationale en 1980. Alors Thomas Nkono et Joseph Antoine Bell y règnent en maîtres, il est le troisième gardien de buts des vingt deux sélectionnés lors de la campagne espagnole les buts. « De toutes les façons, il reconnaissait leur valeur et jurait tout le temps de faire mieux qu’eux, sportivement parlant », se rappelle Isaac Sinkot, son capitaine au sein de la Dynamo de Douala.
Du nerf !
Pour Joseph-Antoine Bell, « Simon Tchobang était plus ami qu’un concurrent cela pour plusieurs et évidentes raisons. C’était pour Tommy et moi, une grande satisfaction de le recevoir en équipe nationale après notre passage à trois et pratiquement à la même période à Eclair de Douala ». Seulement, avec les Lions, Simon Tchobang ne livrera aucun match si oui quelques rencontres amicales. Il fera toutefois partie du groupe qui défendra les couleurs nationales à la Can de 1982 en Libye et à la Coupe du monde la même année en Espagne.
C’est à ce titre qu’il sera fait chevalier de l’Ordre de la Valeur par Ahmadou Ahidjo, président de la République, qui décora tous les héros du Mundial 82. Au lendemain de la campagne espagnole, Simon Tchobang est radié à vie de l’équipe nationale de football. Et pour cause, au cours des quart de finales retour de Coupe du Cameroun en 1982 face à Léopard sportif de Douala au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé, Simon Tchobang, capitaine de la Dynamo à l’occasion, va laisser son tempérament nerveux prendre le dessus. Il va plusieurs fois interrompre la partie, mettre le ballon sous son aisselle et menacer le commissaire du match. Dynamo de Douala éliminé, l’arbitre central André Soppi, de regrettée mémoire, est copieusement « rossé » avec au finish de nombreux jours d’incapacité.
Tcho-Tcho écope de six mois de suspension en championnat national et d’une radiation à vie en équipe nationale. Première sanction du genre dans les milieux du football camerounais, celle-ci ne sera jamais levée. Pour la direction de l’équipe nationale de football, Simon Tchobang payait « lourdement pour ses écarts de conduite contraires à l’éthique sportive ». Son caractère lui aura donc été bien préjudiciable dans sa carrière. « Avec lui, le match commençait dans les vestiaires, il pouvait de longues heures menacer ses adversaires du regard. Sur le terrain, il pouvait continuer avec ces intimidations », se souvient Tchamanbé, ancien joueur de Dragon de Douala puis de Dragon de Yaoundé.
Ses coéquipiers n’étaient pas épargnés. Aux entraînements ou pendant les matches, il arrivait qu’il prenne ses défenseurs pas le collet pour leur remonter les bretelles quand leur placement sur le terrain ne lui plaisait pas. « Il était certes nerveux, coléreux… mais tout ceci pour le bonheur du club. Il était prêt à prendre des cartons pour nous. Ne dit-on pas qui aime bien châtie bien? C’est quelqu’un qui supportait très mal la défaite », croit savoir Isaac Sinkot. Ce que corrobore la cellule familiale. « Sur l’aire de jeu, Tcho-Tcho était peut-être difficile mais en famille, c’était un vrai père, attentionné, véritable chef de famille. Il fallait être à ses côtés pour comprendre quel homme il était réellement », indique son épouse dont le visage et le reste du corps ne laissent apparaître la moindre marque de violence conjugale.
Affecté par cette lourde sanction, Simon Tchobang va sombrer dans la déprime et ses prestations désormais s’en ressentent. C’est ainsi qu’il se retrouve en 1986 à Dihep Di Nkam de Yabassi, club de D2 dans le Littoral. Après quelques matches, il retourne à Dynamo de Douala en 1988 et c’est face à Caïman de Douala que Simon Tchobang va livrer et perdre son dernier match en première division. Il restera tout de même à la lisière des stades en prenant place sur le banc de touche. Devenu entraîneur de Dynamo de Douala, il est coopté dans l’encadrement technique de Dihep Di Nkam de Yabassi avant de se tourner vers l’encadrement de la gent féminine. A la fin des années 90, Simon Tchobang, aidé par quelques mécènes, va fonder Ngondi Nkam. Ses filles vont lui offrir ses derniers plaisirs du ballon rond en remportant en 2001 et 2002 les titres de championnes du Cameroun.
Avant sa mort, Simon Tchobang était à la fois président, entraîneur, sponsor… Bref, l’homme à tout faire de ce club. Pour cet investissement dans la promotion du football féminin, Simon Tchobang sera désigné en juillet dernier membre à la commission nationale de football féminin. Tcho-Tcho quitte la scène, laisse quatre enfants, deux petits-fils, de nombreuses footballeuses orphelines et beaucoup de souvenirs dans les mémoires.
Repères
31 août 1951 à Douala: Date et lieu de naissance
-Poste: gardien de buts
-Clubs respectifs: Eclair de Douala, Avion Entrelec de Douala, Renaissance de Yabassi, Dynamo de Douala et Dihep di Nkam de Yabassi.
-Titres: vainqueur de la Coupe du Cameroun en 1979 et 1981 avec Dynamo de Douala
-Equipe nationale: entrée en 1980
-Compétitions internationales: Can 82 en Libye
-Coupe du monde 82 en Espagne
-Sanction suprême: radiation à vie de l’équipe nationale en 1982
-Responsabilités: Président et entraîneur de Ngondi Nkam de Yabassi
-Membre commission nationale de football féminin
-Membre actif de l’Association des footballeurs camerounais (Afc)
-Distinction: Chevalier de l’Ordre de la Valeur
-Situation matrimoniale: marié, père de 4 enfants. Laisse 2 petits fils