KIEV (UKRAINE) – Deux de ses coéquipiers du club ukrainien d’Arsenal Kiev viennent de décéder subitement, comme de nombreux autres sportifs ces derniers mois. Aujourd’hui, le défenseur camerounais Patrick Julius Ebanda (25 ans), ex-international juniors, avoue ses craintes, car il souffre lui aussi d’un problème au coeur. Son témoignage édifiant donne froid dans le dos.
Le Parisien: La saison de football vient de reprendre en Ukraine. Mais vous ne jouez pas avec votre club, Arsenal Kiev. Pourquoi ?
Patrick Julius Ebanda: J’ai un problème au coeur. Mon rythme cardiaque n’est pas normal. Depuis un mois, je suis sous médicaments. Le médecin m’a imposé le repos absolu, tout exercice physique m’est interdit. Les derniers tests ont cependant montré un mieux. Je vais reprendre en douceur.
D’autres joueurs de votre club sont-ils dans le même cas ?
Non, je suis le seul. Mais, à l’Arsenal Kiev, on a déjà perdu deux de nos joueurs, Chalva Apkhazava, dans son sommeil, et le jeune Pavitski, à l’entraînement. Tous deux ont été victimes d’arrêts cardiaques.
Pour Apkhazava, certains évoquent une overdose de cocaïne…
On parlait de la cocaïne à son sujet bien avant sa mort. Mais ça ne signifie pas qu’il en ait pris. Ni même qu’il soit mort de ça.
Depuis Marc-Vivien Foé, foudroyé en pleine compétition, beaucoup de joueurs décèdent de mort subite. Pourquoi, selon vous ?
J’ai vu mourir Foé à la télévision. Comme tous les Camerounais, j’ai eu un choc. Quand je suis retourné en vacances au pays, il y avait beaucoup de rumeurs. Des gens disaient : « C’est un problème de sorcellerie. » D’autres parlaient du dopage. Depuis, c’est vrai, les morts se succèdent.
Pour votre part, aviez-vous déjà connu des alertes cardiaques ?
Non, jamais. Depuis que je suis passé pro, c’est la première fois. Pourtant, chaque année, j’ai effectué des électrocardiogrammes dans mes différents clubs.
Le club a-t-il provoqué vos problèmes cardiaques en vous dopant ?
On a pu me donner des choses, à mon insu. Je redoute ça. Sans trop y croire, cependant, car nous avons été suivis dans différents établissements médicaux et les examens n’ont rien donné. De même, j’ai subi des contrôles antidopage. Négatifs, à chaque fois.
Mais vous avez un doute…
A cause de tous ces médicaments qu’on nous impose ! Je ne lis pas l’ukrainien, alors je ne comprends pas à quoi ils servent. Le médecin nous dit que ça nous donnera de l’énergie pour le match, sans vraiment nous expliquer pourquoi. Chaque fois qu’on se prépare, on nous donne des pilules deux jours avant la rencontre, jusqu’à neuf réparties sur les trois repas. Des gars font semblant de les prendre et les balancent dans les toilettes.
Il s’agit uniquement de pilules ?
Non. Il y a aussi des injections, la veille des grands matchs contre le Dynamo Kiev, Dniepropetrovsk ou Chakhtor Donetsk. Quand je jouais en Israël (NDLR : il a également évolué au Nigeria) , il n’y avait ni médicament, ni injection. Sauf en cas de blessure. En tout cas, j’affirme que de moi-même, je n’ai jamais rien pris.
Aujourd’hui, vous avez peur de mourir ?
Oui, moi aussi, j’ai peur que ce soit mon tour. Je prie Dieu tous les jours. Avant de m’endormir, je l’implore afin qu’il me permette de me réveiller le matin. Toute ma famille est inquiète. Surtout Viviane, ma femme, et Janet, ma fille de deux ans, qui sont restées au pays.
Qu’en pensent les autres joueurs de l’équipe ?
Eux aussi ont peur.
De qui ?
De quelques personnes qui cherchent à imposer leurs méthodes. Récemment encore, le club était super. On a manqué la qualification pour la Coupe de l’UEFA pour deux points. Après ça, l’effectif a été remanié. Ici, on change la moitié des joueurs tous les six mois.
Qu’en dit l’entraîneur ?
C’est justement lui qui dirige tout. Quand Vladimir Grosnyi parle, personne n’a plus rien à dire. Il a imposé sa règle de vie au club. Il est passé par Dniepropetrovsk où on prétend qu’il a eu des histoires. Mais il vient surtout du Spartak Moscou. En arrivant ici, il a changé tout le staff médical, sauf les masseurs. Tous ces hommes, entraîneurs et médecins, viennent, comme lui de Moscou. Les joueurs chuchotent, mais ne parlent pas à haute voix. Ils ne veulent pas se retrouver sur le banc de touche ou sur la liste des transferts.
Alexandre Omielchenko, le maire de Kiev, est le vrai patron du club. Avez-vous essayé de lui parler ?
C’est impossible de rencontrer le maire. Il faut passer par ses adjoints, qui sont eux-mêmes des dirigeants d’Arsenal Kiev. Tout est verrouillé.
Vous aimeriez partir ?
Oui. Car je suis seul pour affronter tout ce qui se passe dans ce club. Si on ne me paie pas, je dois affronter cela seul. Si on me dope, je suis également seul. J’ai demandé à être prêté. Mais on m’a répondu : « On va te soigner d’abord. Ensuite, on verra. »
Propos recueillis par Didier Romain, Le Parisien