Un terrain ami et hostile. Voilà où a atterri, en septembre dernier, Emilio Omam-Biyik, le fils de l’ex grand attaquant du Stade Rennais. Le défenseur central de 21 ans a alors signé un contrat d’un an avec le Reynosa FC, club de troisième division mexicaine (Liga Premier de Ascenso). Un choix qui lui faisait retrouver un pays qu’il a toujours porté dans son cœur, pour y être né quand son père brillait à l’América Mexico (51 buts entre 1994 à 1996).
Mais qui l’envoyait aussi s’installer dans une ville sinistrée par la violence des narco-trafiquants qui se disputent l’emprise sur le marché du trafic de drogue.
« Ce n’est pas Bagdad non plus »
Située au nord-est de la plus grande nation hispanophone de la planète et adossée au Texas, Reynosa est la plus grande ville de Tamaupilas, État qui occupait une place peu enviée de leader national en matière de kidnapping, en 2015 (plus de 300 cas selon le secrétariat exécutif du système national de sécurité publique). « Il ne faut pas traîner n’importe où, prendre ses précautions, prévient l’ex-joueur de Châteauroux, mais ce n’est pas Bagdad, non plus. »
Forces de l’ordre solidement armées et masquées pour ne pas être identifiées par les narcos, fusillades interminables, voitures brûlées au milieu d’axes routiers pour protester contre l’arrestation d’un capo… Le quotidien d’Emilio Omam-Biyik se situe désormais bien loin de la quiétude berrichonne, là où il s’est formé et a commencé sa carrière professionnelle.
Emilio Omam-Biyik (troisième en haut en partant de la gauche) prend la pose en compagnie de ses coéquipiers du Reynosa FC. (Photo : DR/Emilio Omam-Biyik)
« Un jour, j’ai entendu, depuis mon logement, une fusillade d’une vingtaine de minutes, c’est forcément impressionnant », raconte celui qui vit entre son appartement et les entraînements, en évitant de sortir aux heures où les esprits peuvent s’échauffer et les pistolets être dégainés. Mais pas de quoi le faire paniquer : « Ce sont des règlements de compte entre eux, il ne faut simplement pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. »
Dans son choix atypique de carrière, le jeune homme, qui a laissé sa compagne et son jeune enfant en France, a d’ailleurs été appuyé par sa famille. « Ils m’ont dit qu’une carrière demandait des sacrifices et que j’allais me plaire dans ce pays, au championnat de bon niveau. »
« On avait un sombrero à la maison »
Né le 12 mars 1995, à Mexico, Emilio, malgré son prénom hispanophone, n’avait conservé qu’un lien ténu avec un pays qu’il avait quitté avant d’avoir 3 ans. « On avait un sombrero à la maison, dit-il, mais je me suis rendu compte qu’ici, personne n’en portait, à part les mariachis… » (Rires.)
Le « fils de » n’avait toutefois jamais oublié le Mexique, puisqu’il considère l’América, comme l’un de ses « clubs de cœur ». Et la réciproque est vraie. Encore au centre de formation de Châteauroux, il avait ainsi été interviewé par divers médias mexicains, qui voyaient en lui un possible futur membre d’El Tri, la sélection nationale. « En moins de 17 [catégorie d’âge des moins de 17 ans, NdlR], la Fédération m’avait contacté, révèle-t-il, mais j’étais alors blessé au genou. »
Depuis, le défenseur central, qui n’a pas réussi à s’imposer avec la Berrichonne, n’a plus été contacté. « Mais si cela se présentait, mon premier choix de sélection serait le Mexique », assure celui qui a aussi la nationalité française et camerounaise.
Emilio Omam-Biyik n’est toutefois pas un Mexicain comme les autres. « Tout me différencie d’eux, je suis grand (1,92 m), noir, je parle avec un accent… Mes coéquipiers me charrient d’ailleurs, mais c’est toujours bon enfant. C’est d’ailleurs ce que j’apprécie ici, la chaleur humaine. Ils ont moins de moyens qu’en France, mais ils ne se prennent pas la tête. »
Décalage culturel
Lors de ses premiers mois à Reynosa, le défenseur central a pu mesurer le décalage culturel entre France et Mexique, où sa couleur de peau a même pu conduire des badauds à lui demander une photo… À ce moment-là, il ne faisait que s’entraîner avec son nouveau club, faute d’avoir obtenu son permis de travail. Depuis qu’il a intégré officiellement l’effectif, au mois de janvier, on veut toujours être pris en photo avec lui, mais d’abord parce qu’il reste le fils de François Omam-Biyik.
À gauche, François Omam-Biyik en compagnie de Jacky Paillard, lors de son passage à Rennes, lors de la saison 1990-1991. À droite, son fils, sous le maillot du Reynosa FC. (Photos : Ouest-France/Emilio Omam-Biyik)
« Ici, il a vraiment marqué les esprits, confie Emilio, on m’en parle tous les jours, presque trop… » (Rires.) S’il veut tracer son « propre chemin », le « fils de » reconnaît toutefois que le CV de son père l’a aidé à se trouver un nouvel employeur, alors qu’il se trouvait en fin de contrat avec Châteauroux et en convalescence d’une opération des ligaments croisés. « Ils avaient vu quelques vidéos de moi, mais ça s’est fait à la confiance, même si l’entraîneur a voulu que je prouve ma valeur avant de m’intégrer au groupe », assure-t-il.
Pour le moment, Omam-Biyik joue peu. « L’entraîneur m’a dit qu’il ne comprenait pas que je sois là vu mes qualités, mais mon concurrent est le capitaine de l’équipe… »
Alors, Omam-Biyik patiente, et attend son heure dans cette ville, porte d’entrée vers les États-Unis, que se disputent des factions du Cartel del Golfo et cartel des Zetas.
Le cas échéant, le défenseur espère se faire remarquer par un club mexicain des divisions supérieures, où l’on peut très bien gagner sa vie, comme la France l’a découvert avec le transfert d’André-Pierre Gignac aux Tigres [l’international français touche 4 millions d’euros nets de salaire par an, NdlR].
Dans un championnat réservé aux moins de 25 ans, le défenseur central touche, pour le moment, un salaire équivalent à ses émoluments français. Le seul point commun entre Châteauroux et Reynosa…
CORRESPONDANCE, THOMAS GOUBIN