Dans la petite salle réservée à la
presse au centre d’entraînement
de la Commanderie, Nicolas
Nkoulou, bermuda vert et
t-shirt troué, offre un sourire
timide et charmant. Le jeune
défenseur camerounais
de l’OM, qui a envie de parler,
du passé comme du présent ou de son avenir, a
visiblement préparé son message avec soin. Pour lui,
les choses sont claires : il ne partira pas comme un voleur
de Marseille. Au contraire, il est déterminé à rendre à son
club tout ce qu’il lui a apporté. Ce garçon est, à n’en pas
douter, un très bel exemple de conscience professionnelle.
«Nicolas, avez-vous le sentiment d’être un cas
particulier dans le milieu?
Pourquoi?
Après trois bons matches, la majorité des
joueurs ne pense qu’à aller voir ailleurs…
Je suis loyal. J’essaye de respecter mes engagements. Ce
ne serait pas bien de partir dans ces conditions. C’est vrai
qu’il y a la tempête au club, mais ce n’est pas le moment. Je
tiens à rendre à mes dirigeants, à mes coaches, tout ce qu’ils
m’ont apporté. J’aurais pu partir. Les dirigeants ont dit que
j’étais intransférable, mais moi j’avais la volonté de rester.
Ici, j’ai trouvé une bonne famille. Ça bouge beaucoup et, si
je partais, cela créerait un petit déséquilibre. Si on était sur
un bateau, je le quitterais le dernier.
En général, les joueurs sont plus égoïstes.
Ça fait partie de mon éducation. Maman (décédée pendant
la Coupe du monde 2010) m’a appris le respect.
Vous n’avez pas peur d’oublier ces bons principes?
Je fais tout pour ne pas changer. Ce n’est pas si dur. Je suis
bien entouré, je garde les pieds sur terre grâce à ma
famille, mon agent. Je suis fidèle à cette ligne qui m’a
plutôt bien réussi jusque-là, alors pourquoi changer?
Ça ne sert à rien puisque j’ai gagné. Et si je continue dans
cette voie, je pourrai aller encore plus haut.
Vous misez sur la patience?
On ne décide pas sur un coup de tête. J’ai un plan
de carrière à respecter. J’ai confiance en moi. Après, c’est
le destin, le bon Dieu qui décide.
Le foot, ce ne sont pas les
mathématiques.
Vous avez parlé d’un plan de carrière…
Je n’ai pas envie de le dévoiler. Il y a
du monde derrière moi, comme je
vous l’ai dit. Une véritable équipe
qui me permet d’être équilibré, de
mener une vie tranquille.
Vous voulez dire qu’on peut
être sage, patient et ambitieux?
De l’ambition, j’en ai évidemment. C’est vrai, j’ai fait une
bonne saison, mais je dois confirmer lors de la seconde
et laisser le club mieux placé, stable. Lui dire au revoir
de la meilleure des façons.
Le joueur a changé en une saison marseillaise?
Je reste le même. Juste avec plus d’envie. Je sais aussi que
je suis plus attendu, que je vais avoir davantage de
responsabilités. Je me dois d’être plus exigeant, plus
rigoureux. J’ai plus confiance en moi aussi. L’an passé, j’en
étais au stade de la découverte. J’ai connu la Ligue des
champions, pas mal d’événements. Il faut en tirer profit.
Jusqu’où votre ambition peut-elle vous amener?
Mon désir est d’aller toujours plus haut tout en restant à
l’écoute, humble, disponible et en bossant dur. C’est ma
marque de fabrique.
Concrètement, il y a des clubs
qui vous attirent plus que
d’autres ?
On pense de suite aux plus
grands. Je ne vais pas les citer
tous. Il y en a trois ou quatre en
Angleterre, et deux en Espagne.
L’équipe de vos rêves?
Difficile. Il n’y en a pas qu’une.
Je me laisse emporter par le rêve.
Je ne m’interdis pas de rêver.
Que peut gagner l’OM cette
saison?
Marseille reste un grand club,
appelé à tenir les premiers rôles. On
va se mettre minable et on verra
jusqu’où la poussée nous
emmènera. On ne se fatigue jamais
des titres, on a toujours soif. Cette
saison, je la sens bien. Nous
sommes sur une bonne dynamique. Avec des valeurs telles
que la solidarité, la combativité.
Il y a quand même eu des départs importants,
Mbia, Azpilicueta…
Moi, je fais mon taf, aux dirigeants de faire le leur. Je leur
fais confiance. C’est sûr, une saison est longue, on aura
besoin de joueurs, de souffle.
Vous êtes animés d’un esprit de revanche?
Chacun tente de se mettre à son meilleur niveau sans faire
son numéro. Si on est comme les cinq doigts de la main, on
aura notre mot à dire.
L’OM peut terminer devant Paris?
Je ne veux pas comparer Paris et Marseille. Ils ont un gros
effectif, des noms plutôt impressionnants. Il n’y a pas
photo avec les autres équipes. Mais ça se joue sur le
rectangle. On l’a noté avec Montpellier l’an passé. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne faut pas nous enterrer. On reste
dans notre coin, on bosse. On fera les comptes à la fin.
Il vous tarde de marquer Ibrahimovic?
Je ne suis pas obsédé. Ça arrivera, sans doute. C’est bien
pour la Ligue 1, ça révolutionne le Championnat et c’est
bien également pour les défenseurs d’avoir des joueurs de
ce calibre en face. Cela permet de s’étalonner par rapport
aux plus grands.
Vous étudiez beaucoup le jeu de votre adversaire?
Oui, mais je ne joue pas le match avant. Je regarde ses
habitudes, après on s’adapte selon les circonstances.
Quel est l’attaquant le plus fort auquel vous vous
êtes frotté?
Dans ma petite carrière, j’ai eu Ronaldinho devant moi aux
Jeux Olympiques 2008 (Brésil-Cameroun 2-0). Énorme!
Le plus costaud de tous les joueurs que j’aie rencontrés.
J’avais fait un très grand match ce jour-là.
Et parmi les attaquants français?
Ils sont tous bons, c’est vrai. Pas un plus qu’un autre. Je ne
suis pas impressionné.
Quelque chose ou quelqu’un pourrait vous impressionner?
Dans le foot? Messi! Ah oui! Quand je suis devant mon
écran, je me demande si lui et moi pratiquons le même
foot. Il voit plus vite et fait tout plus vite que tout le
monde. Il mérite le Ballon d’Or, largement! Quand on voit
ça, faut se faire tout petit.
Vous pensez avoir valeur d’exemple?
Non. Je ne passe pas mon temps à m’admirer devant une
glace. Je ne suis pas parfait, j’ai des défauts.
Dans le vestiaire, aucun équipier ne vous a dit
que vous auriez dû partir?
Ça arrive, oui, mais juste quand on rigole. Pas quand on est
sérieux parce que je fais ce qu’il faut pour éviter les
mauvais commentaires. Dans l’attitude, je reste pro,
humble.
Vous auriez pu doubler votre salaire en signant
ailleurs cet été?
Ce que je gagne est déjà énorme quand on sait d’où je viens.
Je ne suis pas pressé. Je me concentre sur cette saison.
Le train pourrait ne pas repasser…
Possible. La motivation est la
même. Si j’ai accompli une telle
saison, pourquoi ne serais-je pas
capable de la refaire? Et même en
mieux!
Par exemple, en marquant
votrepremier but?
En pro, je n’ai jamais marqué en
match officiel. J’ai toute la saison
devant moi pour y parvenir.
Comment?
Un corner, une tête. Ou une
montée, un deuxième ballon et une frappe.
Une reprise de volée, une bicyclette?
Là, ce n’est plus trop mon domaine. Moi, c’est les coups
de tête en défense, alors…
Vous en rêvez de ce but?
C’est un devoir. Je dois marquer même si je ne suis pas
avant-centre. On me chambre avec ça. Mais je fais mon
boulot de défenseur d’abord. C’est le même plaisir, je me
régale.
Vous regardez parfois le chemin parcouru?
Je vois un petit gamin qui courait après les boîtes de
conserve à Yaoundé. Je n’oublie pas d’où je viens. En
Afrique, c’est difficile…C’est une chance énorme, un
privilège d’être pro, et je me dois de rester comme ça.
Dix ans plus tard, vous voilà millionnaire. Logique ou irréel?
Irréel, quand je me replonge en arrière. Aujourd’hui, c’est
réel et je ne dois pas m’endormir. Ma famille compte sur
moi, mais je ne joue pas au foot pour l’argent. Du moins, ce
n’est pas ce qui me vient à l’esprit en premier. Devenir pro,
c’est une bonne partie de mon rêve. À douze ans, je me
demandais si je connaîtrais ce bonheur et, dix ans plus
tard, je suis là. C’est magnifique! Le foot, c’est une
aventure, une découverte permanente. Des rencontres
avec des hommes que je n’oublierai pas comme Laurent
Banide, le président Étienne Franzi, ou le coach Ricardo.
Vous croyez que, l’an prochain, le marché des
transferts sera plus animé que cet été?
On verra. J’ai la chance d’avoir un agent bien (Maxime
Nana). Et le mot est faible. Ce n’est pas qu’une histoire
de contrat entre nous. C’est un père qui fait partie de ma
vie, en qui j’ai toute confiance.
Une confiance aveugle?
Non, pas aveugle! (Il rit.)
Vous avez tendance à être de plus en plus
méfiant?
Plus on avance, plus on est exposé à des gens qui ne
seraient pas venus si je n’en étais pas là aujourd’hui.
Je rends la monnaie de la pièce et que chacun fasse son
travail. J’y trouve mon compte. À moi de travailler dur,
de me remettre en cause pour espérer que demain soit
meilleur. Pour arriver à être grand.»
VINCENT MACHENAUD, à Marseille